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翻訳 ●Jean-Joseph Goux, «Numismatiques» I II, Tel Quel, no.36, no.37, 1968-1969. Repris dans Freud, Marx Économie et symbolique, Éditions du Seuil, 1973.〔浅田彰訳「貨幣の考古学:金、父、ファルス、君主、言語」①②③④⑤、『現代思想』1981年5月号「特集=メタファー」、6月号、7月号、8月号、9月号〕 ●Gilles Deleuze, «Préface», Antonio Negri, L’anomalie sauvage Puissance et Pouvoir chez Spinoza, PUF, 1982〔浅田彰訳(解説含む)「『野生のアノマリー』への序文」、『現代思想』1983年12月号「特集=哲学の変貌」〕 ●解説、Terry Eagleton, «Marx’s Friends», New Left Review, ?, ?〔室井尚訳「マルクスの友人たち」、『現代思想』1983年12月号「特集=哲学の変貌」〕 ●Mary Tew Douglas, Baron C. Isherwood, The World pf goods, New York Basic Books, 1979.〔浅田彰・佐和隆光訳、『儀礼としての消費:財と消費の経済人類学』新曜社、1984→講談社学術文庫、2012〕 ●Charles Fourier, Le nouveau monde amoureux, ?, 1979.〔浅田彰・市田良彦訳、「抄訳の試み テクスト『愛の新世界』を横断する」、浅田彰・伊藤俊治・四方田犬彦責任編集『GS たのしい知識』vol.2、1984.11、「特集=ポリ・セクシャル複数の性」〕 : 現在では福島知己訳『愛の新世界』(作品社、2006)の入手が容易 ●Gilles Deleuze, «Pierre Klossowski ou le corps-langage», Critique, no.214, pp.199-219. Repris, modifié, en appendice de Logique du sens, Paris; Editions de Minuit, 1969. 〔浅田彰・市田良彦共訳「クロソウスキーあるいは身体-言語」、『GS たのしい知識』vol.2、1984.11、浅田彰・伊藤俊治・四方田犬彦責任編集「特集=ポリ・セクシャル複数の性」〕 : 現在では小泉義之訳「クロソウスキー、あるいは身体-言語」、『意味の論理学』下(河出文庫、2007)の入手が容易 ●Gilles Deleuze et Félix Guattari, L Anti-Œdipe, Éditions de Minuit, 1972. 〔浅田彰・市田良彦訳「トランスセクシュアリテ 『アンチ・エディプス』からの三つの断片」、『GS たのしい知識』vol.2、1984.11、浅田彰・伊藤俊治・四方田犬彦責任編集「特集=ポリ・セクシャル複数の性」〕 : 現在では市倉宏祐訳『アンチ・オイディプス:資本主義と分裂症』(河出書房新社、1986);宇野邦一訳『アンチ・オイディプス』(上下、河出文庫、2006)の入手が容易 ●Jean-Francois Lyotard, Economie Libidinale, Minuit, 1974. 〔浅田彰・市田良彦訳(抄訳)「『エコノミー・リビディナル』からの二章」、『GS たのしい知識』vol.2、1984.11、浅田彰・伊藤俊治・四方田犬彦責任編集「特集=ポリ・セクシャル複数の性」 〕 : 現在では杉山吉弘・吉谷啓次訳『リビドー経済』(法政大学出版局、1997)の入手が容易 ●Gilles Deleuze et Félix Guattari, Milles Plateaux, Éditions de Minuit, 1980.〔浅田彰・水嶋一憲訳「生成する音楽 『ミル・プラトー』からの二つの断片」、『GS たのしい知識』vol.2、1984.11、浅田彰・伊藤俊治・四方田犬彦責任編集「特集=ポリ・セクシャル複数の性」 〕 : 現在では宇野邦一・小沢秋広・田中敏彦・豊崎光一・宮林寛・守中高明訳『千のプラトー』(河出書房新社、1994)の入手が容易 ●Dominique Fernandez, La Rose des Tudors, Julliard, 1976. 〔浅田彰・水嶋一憲訳「料理万歳! 『チューダーの薔薇』La rose des Tudors (Julliard,1976) 第一章」、『GS たのしい知識』vol.2、1984.11、浅田彰・伊藤俊治・四方田犬彦責任編集「特集=ポリ・セクシャル複数の性」〕 ●ヴァレラ, , ?, ?. 〔浅田彰・斉藤嘉文訳、「創造の環」、『現代思想』1984年12月号「特集=免疫と自己組織化」〕 ●Glenn Gould, «Prospects of Recording», High Fidelity Magazine, April 1966. 〔浅田彰・細川周平訳、「プロスペクツ:オヴ・レコーディング」、『現代思想』vol.13-5、1985年5月号「特集=Contemporary Music:音楽はどこへいくのか」〕 ●Éric Alliez et Michel Feher, «La ville sophistiquée», Chage international, no.3, 1985. ; trans. by David Beriss and Astrid Hustvedt, «Notes on the Sophisticated City», Zone 1/2. The Contemporary City, 1986, New York; Urzone, pp.40-55. 〔浅田彰・市田良彦との共訳「ソフィスティケーテッド・シティ」、『GS たのしい知識』vol.3、1985.10、浅田彰・伊藤俊治・四方田犬彦責任編集「特集=千のアジア」〕«Notes on the Sophisticated City» ●Férix Guattari, Paul Virilio, Alain Joxe et Giairo Daghini, «Table ronde L’Etat nucléaire», Change International, no.2, mai 1984.〔浅田彰・市田良彦・中島ひかる訳「ニュークリア・ステート」、『GS たのしい知識』第II期vol.4、1986.12、浅田彰・生井英考・武邑光裕・細川周平責任編集「特集=戦争機械」 〕 ●Jonathan Crary, «Eclipse of the Spectacle», Brian Wallis, ed., Art After Modernism Rethinking Representation, The New Museum of Contemporary Art, 1984, pp.283-294.〔浅田彰・市田良彦訳「スペクタクルの蝕」、『GS たのしい知識』第II期vol.5W、1987.4、浅田彰・武邑光裕責任編集「特集=電視進化論」 、pp.2-13〕 ●Félix Guattari, «Genet retrouvé», Revue d études palestiniennes, n°21, 1986.9. Repris dans Revue d études palestiniennes, numéro hors-série «Jean Genet et la Palestine», 1997.5. 〔浅田彰・市田良彦との共訳「再び見出されたジュネ」、浅田彰責任編集『GSたのしい知識』vol.5 1/2、1987.6、「特集=Genet Special」 ●Edmond Couchot, «Une marge étroite mais fertile (À l’interface du réel et du virtuel)», Revue virtuelle, n° 1, Centre G. Pompidou, avril 1992.→「リアルとヴァーチュアルのあいだ:ハイブリッド化の芸術」、『InterCommunication』no.1、1992年夏号「特集=トランスポーテーション:速度都市あるいは移動の文化変容」
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元記事→http //www.liberation.fr/actualite/monde/228145.FR.php 翻訳:村野瀬玲奈さん→http //t-t-japan.com/~muranose_rena/blog/rena.cgi/permalink/20070113045152 「NATOへの接近、防衛省の創設。王国は平和主義に背を向ける。」 「ふんぞりかえる日本」 (写真は、1945年以来最初の防衛省大臣である久間章生と安倍晋三総理大臣。(ロイター)) 日本特派員 ミシェル・テマン このスターリン風の掩蔽壕(えんぺいごう)は、金正日の最後の宮殿のようでもある。実は、日本の首相安倍晋三と礼服姿の軍人と将校によって東京で火曜日に除幕式が行われた巨大な建物は日本初の防衛省である。それまでは、この機構は「防衛庁」と呼ばれ、「庁」であった。自衛隊のトップには長官がついていた。火曜日からは、正式な防衛大臣であり、第二次世界大戦以降このポストにはじめてつく最初の文官である久間章生によって自衛隊は指揮されることになる。 1876年にフランス人によって創設された古い軍学校のあった場所に建っているこの新しいスーパー省ができて、日本は世界第五位の予算(年間310億ユーロ)を防衛に費やす、劣等感無しの大国として最終的に動くことになる。確かに、日本の武装力は、危機の際には105の基地を持ち46000人の兵を日本の領地に展開する米軍に完全に束縛されたままになる。さらには、日本の兵士は自衛のため以外では発砲することを相変わらず許されていない。しかし、1992年、いわゆるPKO法(国連平和維持活動協力法)の成立以来、日本は翼を生やした気分になった。日本は国連のいくつもの平和維持ミッション(カンボジア、ルワンダなど)に参加した。今日では、日本はさらに多くのことを望んでいる。日本だけで予算の19.5%を負担している国連の安全保障委員会の常任理事国に、できればなりたがっているのである。 今日52歳の安倍晋三が体現しているハード右派は、交戦権を日本に放棄させて武装兵士を「国際紛争を解決する手段としては海外に」派遣することを禁じている平和憲法とその第9条にもはや日本は締め付けられていてはならないと考えている。 平和憲法を葬り去る こうして、この首相の自民党は1947年にマッカーサー将軍から強制された条文を修正するために5年という期間を設定している。2003年の初頭から、ジョージ・ブッシュの依頼に応えて600名の兵士をイラクに派遣することで、前首相の小泉純一郎(2001-2006)は、長い間日本の左派の誇りであったこの平和憲法を事実上葬り去ることに成功したことになる。 今日では東京の評論家たちは、これから日本は他国と同じように軍事大国のひとつとなる、とみている。その間違いない兆候のひとつが、現在欧州を訪問中の安倍晋三がNATOの本部も訪れていることである。北朝鮮の核開発と中国の軍事力の増大の今、安倍晋三は日本がNATOと北大西洋条約との戦略的関係を強化したいと述べている。 その経済力に匹敵する政治的地位、さらには軍事的地位を日本に与えようというこの意思は、仮にそれがウルトラ国家主義熱が新たに高揚していないのならば、問題を起こさないはずなのであるが。こうして、安倍晋三の日本では「昔の日本の価値」がよみがえり、「国家の精神」が高唱され、死刑が再開されることになった。新しい教育基本法は、それを「反民主主義的」だと判断した多くの人の反対を押し切って、「国への愛」を完成させるために今後生徒に「愛国心教育」を受けさせることを強制する。 激論 元首相の中曽根康弘は、日刊紙読売新聞に前の日曜日に載っためったにない激しい論説の中でこう書いた。人々を分裂させ、日本の単一性を破壊し、日本の倫理原則の崩壊をひどくした小泉の5年間の劇場政治の後では、今日の日本の大きなチャンスは保守主義への回帰を保証する安倍晋三であると!中曽根の提案する特に輝くアイデアは、安倍内閣が社会の中に武士道の道を復興することである。(編集部注:「武士道」とは「戦士の道」を意味する。)武士道の道とは、公益の名の下での個人の犠牲を意味する。これと同じ武士道の名において日本の特攻隊は太平洋戦争の間、敵の戦艦に戦闘機で突っ込んでいったのであった…。 ベストセラー 太平洋安全研究所の専門家であるアレクサンダー・マンスロフ(Alexander Mansourov)によれば、この国家主義の目覚めには、日本を下から上まで揺さぶっていうという目をみはる現象がある…。藤原正彦は「国家の品格」と題されたエッセイで、自由と平等という西洋の概念は日本には「不適切」であると主張しているのだ。このエッセイはベストセラーになり、すでに200万部売れている。 ****************** Fumo Kyuma (à gauche) en compagnie du Premier ministre Shinzo Abe est le premier ministre de la Défense depuis 1945. (REUTERS) Par Michel TEMMAN QUOTIDIEN vendredi 12 janvier 2007 Tokyo de notre correspondant Ce bunker de style stalinien pourrait être le dernier palais de Kim Jong-il. En fait, l énorme édifice inauguré mardi à Tokyo par le Premier ministre japonais Shinzo Abe et des militaires et officiels en queue de pie est le premier ministère nippon de la Défense. Jusqu alors, cette institution, dite le boecho, était une «Agence». Un secrétariat d Etat à la tête des Jietaï, les «forces d autodéfense». Depuis mardi, elle est dirigée par un ministre de la Défense en bonne et due forme, Fumio Kyuma, premier civil à occuper ce poste depuis la Seconde Guerre mondiale. Avec ce nouveau superministère élevé sur le site de l ancienne école militaire fondée par des Français en 1876, le Japon se mue définitivement en puissance décomplexée, qui consacre à sa défense le cinquième plus gros budget mondial (31 milliards d euros par an). Certes, les forces armées nippones demeurent complètement liées, en cas de crise, à celles des Etats-Unis qui maintiennent 105 bases et 46 000 hommes sur son territoire. En outre, les soldats nippons ne sont toujours pas autorisés à tirer un coup de feu sauf pour se défendre. Il n empêche que depuis 1992 et l adoption de la loi dite PKO de maintien de la paix, le Japon s est senti pousser des ailes. Il a participé (au Cambodge, au Rwanda, etc.) à nombre de missions de maintien de la paix de l ONU. Aujourd hui, il veut plus. Si possible un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l ONU, organisation dont Tokyo finance à lui tout seul 19,5 % du budget. Pour la droite dure, incarnée aujourd hui par Shinzo Abe, 52 ans, le Japon ne peut plus se permettre d être tenaillé par sa Constitution pacifiste et son article 9, qui lui ôte le «droit à la guerre» et lui interdit d envoyer des soldats armés «sur un théâtre extérieur en vue de résoudre un différend international». Enterrer. Aussi le Parti libéral démocrate (PLD) du Premier ministre se donne-t-il cinq ans pour réformer le texte imposé en 1947 par le proconsulat du général McArthur. En décidant, début 2003, d expédier 600 soldats en Irak, comme le lui demandait George W. Bush, l ancien Premier ministre Junichiro Koizumi (2001-2006) aura réussi de son côté à enterrer de facto ce pacifisme constitutionnel, longtemps la fierté de la gauche japonaise. Des commentateurs japonais, à Tokyo, estiment aujourd hui que «le Japon est désormais une puissance militaire comme les autres». Un signe qui ne trompe pas actuellement en tournée européenne, Shinzo Abe visite aussi le siège de l Otan. A l heure de la nucléarisation de la Corée du Nord et de la montée en puissance militaire chinoise, il aimerait, a-t-il confié, que le Japon «renforce» ses liens stratégiques avec l Organisation du traité de l Atlantique Nord. Cette volonté de doter le pays d un statut politique voire militaire à l égal de sa puissance économique, ne poserait aucun problème si elle ne s accompagnait pas d une nouvelle poussée de fièvre ultranationaliste. Ainsi voit-on le Japon de Shinzo Abe ressusciter les «valeurs du Japon d antan», chanter «l esprit de la nation» ou réactiver la peine de mort. Une nouvelle loi sur l enseignement oblige désormais les écoliers à suivre des «cours de patriotisme» en vue de parfaire l «amour du pays», au grand dam de beaucoup d opposants qui l ont jugée « antidémocratique ». Violence. Dans une tribune d une rare violence, publiée dimanche dernier dans le quotidien Yomiuri, l ex-Premier ministre Yasuhiro Nakasone estime qu après «les cinq années de théâtre politique» de Koizumi, qui a divisé les gens, détruit «l unicité» du Japon et aggravé «l érosion des principes éthiques du pays», la grande chance du Japon, c est aujourd hui Shinzo Abe, un homme, écrit-il, qui garantit «le retour au conservatisme» ! Nakasone propose, entre autres idées lumineuses, que l administration Abe «restaure dans la société la voie du bushido [littéralement «la voie du guerrier», ndlr], laquelle implique le sacrifice personnel au nom de l intérêt public». C est au nom de ce même bushido que les kamikazes nippons écrasaient leur chasseur sur les cuirassés ennemis, pendant la guerre du Pacifique... Best-seller. Pour Alexander Mansourov, spécialiste de l Asie au Centre d études sur la sécurité du Pacifique, ce «réveil nationaliste» a cela de spectaculaire qu il secoue de fond en comble le pays... Dans un essai intitulé la Dignité d une nation, Masahiko Fujiwara soutient que les concepts occidentaux de liberté et d égalité sont «inappropriés» au Japon. L essai est un best-seller, déjà vendu à deux millions d exemplaires.
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Ouverture ACTE I Une place publique à Sparte 1 - Introduction CHOEUR Vers tes autels, Jupin, nous accourons joyeux, A toi nos voeux! Nous voici tous à tes genoux!l Dieu souverain des Dieux toi dont la barbe est d or écoute nos accents, ô Jupiter Stator! Vers tes autels nous accourons joyeux. Accepte nos offrandes, père des immortels. Accepte nos offrandes, pour parer tes autels. Accepte ces corbeilles de joncs et de roseaux et ces grappes vermeilles et ces deux tourtereaux. Accepte nos offrandes. Vers tes autels, Jupin, etc. CALCHAS Trop de fleurs. Trop de fleurs... Tristes offrandes... Tous ces bouquets nous encombrent... Sinistres offrandes! … Ah... Il est loin le temps béni des tas de boeufs fumants et des entrailles de mouton... Quant aux dieux! … Ils s en vont. PHILOCOME Pas tous, Seigneur, voyez Vénus. CALCHAS Oui, merci, je sais... J ai vu dans « Les Echos de Cythère» la courbe des offrandes du mois passé. Scandaleux l PHILOCOME Il va faire des affaires l augure de Vénus. CALCHAS Evidemment, ils n en ont que pour elle. C est depuis le concours du mont Ida, depuis qu elle a vaincu Minerve, et Junon, grâce à ce berger, ce Pâris. Et sous les yeux de Jupiter, notre père, qui maintenant est dans une de ces baisses ... Trop de fleurs, ami, trop de fleurs... Ce n est plus un sacrifice, c est Interflora ! PHILOCOME Une déesse? CALCHAS Non, Presque. Enfin, bref, il y a un pépin. La journée sera chaude. PHILOCOME grivois L anniversaire... CALCHAS L anniversaire... La fête d Adonis. Ce jour, Vénus, filant le secourir, déchira ses petits pieds vide sou sang colora les ruses qui n étaient que blanches avant l événement. Cette histoire est d un poétique!l A propos, tu porteras ce bouquet à la petite M égara, celle qui tient le magasin «Hercule» près du temple de Bacchus. Trop de fleurs... Tristes offrandes... Sinistres offrandes... Tais-toi! La journée commence voici venir la plus belle moitié de Sparte, les pleureuses d Adonis guidées par notre splendide souveraine. 1bis - Choeur des jeunes filles CHOEUR C est le devoir des jeunes filles, rejetons des grandes familles, de soupirer dc temps en temps sur la mort des beaux jeunes gens. HÉLÈNE animée Adonis, nous versons dus ai mes sur ton sort et toi, Vénus, vois nos alarmes. L amour se meurt, l amour est mort! CHOEUR L amour se meurt, l amour est mort! 2a - Couplets HÉLÈNE Amours divins! Ardentes flammes! Vénus! Adonis! Gloire à vous! Le feu brûlant nos folles âmes, Hélas, ce feu n est plus en nous. Ecoute-nous, Vénus, Vénus la blonde, il nous faut de l amour, n en fût-il plus au monde! CHOEUR Il nous faut de l amour, n en fût-il plus au monde! HÉLÈNE Il nous faut de l amour, nous voulons de l amour! Les temps présents sont plats et fades Plus d amour, plus de passion! Et nos pauvres âmes malades se meurent de consomption! Ecoute-nous, Vénus, Vénus la blonde, il nous faut de l amour, n en fût-il plus au monde! CHOEUR Nous voulons de l amour, n en fût-il plus au monde! Le choeur des femmes a disparu. Hélène reste seule avec Calchas. HÉLÈNE Calchas, restez. CALCHAS Toujours, fille de Léda. Mais, j ai sacrifice... HÉLÈNE Le sacrifice attendra. CALCHAS Quest-ce qu il y a encore? Voyons... HÉLÈNE Il y a... Vous allez dire que je suis folle, comme l autre fois ... CALCHAS Reine! Jamais! Le respect... HÉLÈNE Non, Calchas, l histoire du mont Ida, j y pense sans cesse. Ce bois, ces déesses, cette pomme et ce berger... Oh, ce berger... ! Vous n avez pas eu de nouveaux détails? CALCHAS Non, reine, désolé. Bon... Le sacrifice… HÉLÈNE Calchas, dites-moi! Redites-moi! Pour remercier ce berger, Vénus lui a promis l amour de la plus belle femme du monde, oui? …Oui? CALCHAS Oui, je vous dis. C est officiel. HÉLÈNE Et la plus belle femme du monde? CALCHAS C est vous! HÉLÈNE Taisez-vous, taisez-vous C est elle. Par mon père! Toujours elle! CALCHAS Elle? Qui, elle? HÉLÈNE La fatalité, la fatalité qui vit près de moi. CALCHAS Ça, au moins, c est vrai. Bien... Grande reine... HÉLÈNE Ma naissance, Calchas, mon hérédité, vous la connaissez? Ce cygne traqué par un aigle que Léda sauva dans ses bras... Ce cygne, c était mon père, comment voulez-vous que je sois une femme ordinaire? Asseyez-vous Calchas, aidez-moi, vous qui connaissez les égarements de ma jeunesse, après tous ces naufrages, j avais cru arriver au port. CALCHAS C était Ménélas,.. HÉLÈNE J ai tout fait pour l aimer. Tout, tout. Je n ai pas pu... hélas, je n ai pas pu... CALCHAS Quand on ne peut pas … on ne peut pas! HÉLÈNE Qu est-ce qu il va devenir?... Dieux! J aurais tant aimé une vie calme et bourgeoise à Mitylène... Pourtant ... C est Vénus qui ordonne. Et la fatalité..., la fatalité... CALCHAS C est une excuse. HÉLÈNE Tais-toi, entends, Calchas, le peuple qui m accuse et qui, suivant mon char, immense et belle foule crie Ça, ça n est pas une reine, c est une poule. CALCHAS Une poule? HÉLÈNE Est-ce ma faute à moi, si je suis la fille d un oiseau? 2bis CALCHAS pendant la musique Non... bien sûr. Mais entrez, entrez grande Reine, voici venir Oreste! HÉLÈNE Oh! Mon chou de neveu! CALCHAS Oui, et assez mal accompagné... HÉLÈNE C est de famille... Oh, les Atrides... Il est sans doute avec Parthénis. Elle n est pas vilaine, cette Parthénis, il n y a vraiment que ces filles pour s habiller comme ça l Hélène sort. 3 - Chanson d Oreste ORESTE Au cabaret du labyrinthe, cette nuit, j ai soupé, mon vieux, avec ces filles de Corinthe, tout ce que la Grèce a de mieux. C est Parthénis et Léoena qui m ont dit te vouloir connaître. CALCHAS Pouvais-je m attendre à cela? Mesdames, j ai bien l honneur d être... ORESTE C est Parthénis et Léoena. CHOEUR DES JEUNES FILLES C est Parthénis et Léoena. CALCHAS C est Parthénis et Léoena. ORESTE Tzing la la, tzing la la, oya Kephale, Kephale, o la la! TOUS Tzing la la, tzing la la, oya Kephale, Kephale, o la la! ORESTE Regardez ces petits nez roses, petites mains et pieds mignons, et toutes ces petites choses qui font les grandes passions. C est Parthénis et Léoena qui m ont dit te vouloir connaître. CALCHAS Pouvais-je m attendre à cela? Mesdames, j ai bien l honneur d être... ORESTE C est Parthénis et Léoena. CHOEUR DES JEUNES FILLES C est Parthénis et Léoena. CALCHAS C est Parthénis et Léoena. ORESTE Tzing la la, tzing la la, oya Kephale, Kephale, o la la! TOUS Tzing la la, tzing la la, oya Kephale, Kephale, o la la! ORESTE C est avec ces dames qu Oreste fait danser l argent à papa. Papa s en fiche bien au reste car c est la Grèce qui paiera. C est Parthénis et Léoena qui m ont dit te vouloir connaître. CALCHAS Pouvais-je m attendre à cela? Mesdames, j ai bien l honneur d être... ORESTE C est Parthénis et Léoena. CHOEUR DES JEUNES FILLES C est Parthénis et Léoena. CALCHAS C est Parthénis et Léoena. ORESTE Tzing la la, tzing la la, oya Kephale, Kephale, o la la! TOUS Tzing la la, tzing la la, oya Kephale, Kephale, o la la! ORESTE Mesdemoiselles, voici le Calchas demandé! Calchas le célèbre augure, l oracle officiel d Agamemnon, eh, Calchas, quoi! CALCHAS Enchanté... Excusez-moi, un sacrifice pressé... LÉOENA Un sacrifice … aujourd hui? PARTHÉNIS A quelle occase? CALCHAS Tiens, vous parlez l Argos? PARTHÉNIS Quand ça m vient! CALCHAS Eh bien, à l occase de la fête d Adonis. Et vous ne pouvez pas rentrer. Je vous connais, vous allez encore troubler le sacrifice. C est la Reine, elle-même, qui préside la cérémonie. ORESTE La reine? Ma tante Hélène? Elle n est pas très bien placée... CALCHAS Jeune homme! ORESTE Très bien, ne nous fâchons pas, nous nous inclinons et nous partons. Ciao, Calchas, bisous à ma tante! 3bis - Sortie d Oreste ORESTE, CHOEUR Tzing la la, tzing la la, oya Kephale, Kephale, o la la! CALCHAS Tzing la la, tzing la la! Mes Dieux! Et dire que c est le fils d Agamemnon!Ah la folle, la folle jeunesse! Moi aussi, autrefois, j aurai pu... Hélas, les dieux n ont pas voulu... Bon, maintenant, au sacrifice, au sacrifice!l PÂRIS Monsieur? C est vous le devin de Jupiter? CALCHAS Oui, c est moi. à part Mais qu est-ce qu ils ont tous?... Excusez-moi, mais je suis occupé, oc-cu-pé! Un sacrifice extrêmement en retard! PÂRIS Le sacrifice attendra. CALCHAS Pardon? Vous voulez peut-être que je vous tire les cartes? Comme dans les faubourgs de Phrygie! PÂRIS à part Quel devin... à lui Vous avez reçu la lettre de Vénus? CALCHAS Pas du tout, monsieur. à part Un fou! Il ne manquait plus que cela... PÂRIS C est bizarre... la colombe est partie avant moi... CALCHAS à part Au secours! PÂRIS Vous ne me croyez pas, monsieur? Alors, regardez... 4 - Mélodrame Musique très douce à l orchestre CALCHAS Quoi ? PÂRIS Là-bas, dans l azur... ce petit point qui grossit, grossit, grossit ...... CALCHAS regardant Eh bien, c est un oiseau. PÂRIS Eh bien, c est ma colombe. Et c est ma lettre. CALCHAS Par Vénus! PÂRIS Comme vous dites... CALCHAS Mais, mais!... Qu est-ce qu elle veut, là? La colombe, arrivant de la droite, vient s abattre sur le doigt de Pâris. Elle bat des ailes et tient une lettre dans son bec. PÂRIS Elle demande s il y a une réponse. à la colombe Il n y en a pas. CALCHAS regardant la lettre Le timbre de Cythère... C est bien de Vénus. Vénus... 5 - Mélodrame CALCHAS lisant Homme de vingt ans à la tête blonde, un berger viendra. An nom de Vénus, qui sortit de l onde, Calchas l entendra. À ce doux berger dont Vénus proclame le goût merveilleux, Vénus a promis la plus belle femme qui soit sous les cieux. Lors, quand paraîtra la divine Hélène, fille de Léda, Calchas an berger montrera la reine en disant «Voilà!» PÂRIS Voilà! CALCHAS Alors, c est vous, Pâris, le fils du roi Priam, le frère du grand Hector? Mais vous savez qu on parle de vous partout, les télés, les journaux, les oracles, partout ! Alors c est vous, ce jugement? PÂRIS Eh oui, c est moi. CALCHAS Donc, vous avez vu la déesse? PÂRIS Comme je vous vois, enfin … CALCHAS Et ça ne vous embêterait pas de... PÂRIS De quoi? CALCHAS De me donner un petit aperçu... PÂRIS Mais pas du tout monsieur, écoutez l aperçu. 6 - Le jugement de Pâris PÂRIS Au mont Ida, trois Déesses se querellaient dans un bois. Quelle est, disaient ces Princesses, la plus belle de nous trois? Evohé, que ces Déesses, pour enjôler les garçons, évohé, que ces Déesses ont de drôles de façons. Dans ce bois passe un jeune homme, un jeune homme Irais et beau (C est moi!) Sa main tenait une pomme, vous voyez bien le tableau. Ah, holà, eh! Le beau jeune homme, im instant, arrêtez-vous, et veuillez donner la pomme à la plus belle de nous. Evohé, que ces Déesses, pour enjôler les garçons, évohé, que ces Déesses ont de drôles de façons. L une dit j ai ma réserve, ma pudeur, ma chasteté, donne le prix à Minerve, Minerve l a mérité. Evohé, que ces Déesses, ont de drôles de façons. L autre dit j ai ma naissance, mon orgueil et mon paon. Je dois l emporter, je pense, donne la pomme à Junon. Evohé, que ces Déesses, ont de drôles de façons pour enjôler les garçons, . La troisième, ah, la troisième! La troisième ne dit rien; Elle eut le prix tout de même, Calchas, vous m entendez bien! Evohé, que ces Déesses, pour enjôler les garçons, évohé, que ces Déesses ont de drôles de façons. CALCHAS Compliments. félicitations, bravo! Vénus ordonne, j obéirai! Mes oracles et moi sommes à votre service. Faut-il vous présenter tout de suite à la reine? PÂRIS Oui, mais sans dire qui je suis. Entrent les pleureuses d Adonis et Hélène qui vient la dernière. Quand elle paraît, elle est frappée par la beauté du berger. Emotion de Pâris. CALCHAS à Pâris Lors, quand paraîtra la divine Hélène, fille de Léda, Calchas au berger montrera la reine en disant «Voilà!» Les femmes sortent. Hélène reste. Un je ne sais quoi la retient... HÉLÈNE Calchas! CALCHAS Reine? HÉLÈNE montrant Pâris Qui est ce jeune homme? CALCHAS Un étranger. HÉLÈNE Sa profession?... CALCHAS Berger. HÉLÈNE Berger?... Heureuses les bergères si ce n est qu un berger... Mais laisse-nous donc, Calchas. Je vais l interroger. CALCHAS Puisque Vénus ordonne, c est la fatalité. HÉLÈNE qui tressaille è ce mot Oh … Sort Calchas. Pourquoi suis-je troublée ainsi? Pourquoi? Jeune homme? PÂRIS Princesse? HÉLÈNE Les dieux parfois s amusent à se présenter sous un déguisement... PÂRIS Je ne suis qu un mortel... Un berger. HÉLÈNE Un berger? PÂRIS On m a dit qu il y aurait un concours. Je suis venu dans l espoir de me faire remarquer. HÉLÈNE Par ta beauté? PÂRIS Par mon intelligence. HÉLÈNE tournant autour de lui Très beau de face. Merveilleux de profil. Superbe de trois-quarts. Lève un peu la tête. N ouvre pas la bouche. Voilà, comme ça … La vache!... C est beau, un beau berger! Ben, ferme ta bouche!… PÂRIS Oh Vénus... HÉLÈNE Oh!... J oublie tout à t admirer.. Quelle heure est-il? PÂRIS regardant en l air Trois heures vingt-cinq. HÉLÈNE Tliens, j ai deux heures et quart! Trois heures vingt-cinq! Et la cérémonie qui va commencer! CALCHAS Reine, attention, le cortège! HÉLÈNE Il faut nous séparer, je voudrais te revoir. PÂRIS Oh, vous me reverrez! CALCHAS Reine! Voici les rois qui viennent, HÉLÈNE Allons ceindre le diadème et remettre un peu d Eau d lssey. CALCHAS C est très tendance, à Sparte! Hélène sort. Paris disparaît. ORESTE Le cortège de papa! Tout le monde entre. Oreste se place dans le coin à gauche avec Calchas. 7a - Marche et couplets des rois CHOEUR Voici les rois de la Grèce! Il faut que le choeur s empresse de les nommer par leur nom. Ça! Peuple, faisons silence! Voici les rois de la Grèce! Il faut que le choeur s empresse de les nommer par leur nom. Voici les rois! Voici les rois! Voici les rois! AJAX PREMIER Ces rois remplis de vaillance, -plis de vaillance, -plis de vaillance, c est les deux Ajax! ORESTE, CALCHAS Les deux Ajax! AJAX DEUXIÈME Etalant t avec jactance, t avec jactance, t avec jactance, leur double thorax... ORESTE, CALCHAS Leur dou-, double thorax! AJAX PREMIER Parmi le fracas immense des cuivres de Sax... LES DEUX AJAX Ces rois remplis de vaillance, -plis de vaillance, -plis de vaillance, c est les deux Ajax, les deux, les deux Ajax! TOUS Ces rois remplis de vaillance, c est les deux Ajax! ACHILLE entrant Je suis le bouillant Achille, le bouillant Achille, le bouillant Achille, le grand myrmidon! ORESTE, LES DEUX AJAX, CALCHAS Le myr-, le myrmidon! ACHILLE Combattant un contre mille, un contre mille, un contre mille, grâce à mon plongeon! ORESTE, LES DEUX AJAX, CALCHAS Grâce, grâce au plongeon! ACHILLE J aurais l esprit bien tranquille, n était mon talon! Je suis le bouillant Achille, le bouillant Achille, le bouillant Achille, le grand myrmidon, le myr-, le myrmidon! LES MÊMES, LE CHOEUR Voici le bouillant Achille, le bouillant Achille, le grand myrmidon! MÉNÉLAS entrant Je suis l époux de la reine, -poux de la reine, -poux de la reine, le roi Ménélas! ORESTE, ACHILLE, LES DEUX AJAX, CALCHAS Le Méné-, le Ménélas! MÉNÉLAS Je crains bien qu un jour Hélène, qu un jour Hélène, qu un jour Hélène, je le dis tout bas... TOUS Il le dit tout, tout, tout bas! MÉNÉLAS Ne me fasse de la peine, n anticipons pas. Je suis l époux de la reine, -poux de la reine, -poux de la reine, le roi Ménélas, le Mé-, le Ménélas! TOUS Il l époux de la reine, -poux de la reine, -poux de la reine, le roi Ménélas! AGAMEMNON entrant Le roi barbu qui s avance, -bu qui s avance, -bu qui s avance, c est Agamemnon... TOUS Aga-, Agamemnon! AGAMEMNON Et ce nom seul nie dispense, seul me dispense, seul me dispense, d en dire plus long. TOUS d en di-, dire plus long. AGAMEMNON J en ai assez dit, je pense, en disant mon nom, le roi barbu qui s avance, -bu qui s avance, -bu qui s avance, c est Agamemnon, Aga-, Agamemnon. TOUS Le roi barbu qui s avance, c est Agamemnon! Aga-, Aga-, Agamemnon! CALCHAS qui ramène Hélène La Reine! 7bis - Reprise de la marche CHOEUR Voici les rois de la Grèce! Il faut que le choeur s empresse de les nommer par leur nom. Voici les rois de la Grèce! Voici les rois, voici les rois! AGAMEMNON Rois et peuples de la Grèce, salut à vous! Cette journée ne sera consacrée qu aux choses de l intelligence. Des forts, des braves, nous en avons. Les deux Ajax sont forts, le bouillant Achille est fort, moi même, hé... Ce que nous n avons pas, ce que nous n avons plus, ce sont des gens d esprit. La Grèce s abrutit. Achéens, mes amis, il ne s agira pas aujourd hui de lancer le char ou de conduire le disque, jeunes élèves, rois, poètes, bergers... HÉLÈNE Berger? AGAMEMNON Tous sont également admis à disputer le prix. Et vous, fanfares, sonnez pour mon éloquence en attendant le triomphe du lauréat. ORESTE Bravo papa! AGAMEMNON Nous commençons. Ménélas, mon frère, veuillez donner lecture. MÉNÉLAS Avec coeur. Mon premier est le lac chez nos voisins d Albion. Mon deuxième, c est vous ou moi. Mon troisième, quand cuit le poisson, empêche l odeur du graillon. TOUS Hotte! hotte! AGAMEMNON Le troisième c est «hotte». L abrutissement n est pas aussi complet qu on pourrait croire. Bien... Continuez, roi Ménélas. MÉNÉLAS Mon quatrième est une rive où manque l air absolument. Mon tout par les chemins s en va comme le vent. C est terminé. AGAMEMNON Eh bien, allez-y, jeunes athlètes! AJAX PREMIER Anecdotique! AJAX DEUXIÈME Emmailloté! ACHILLE Carotte! Ils répètent ces trois mots tous les trois ensemble. AGAMEMNON Qui a dit «anecdotique»? AJAX PREMIER Moi! AGAMEMNON Et pourquoi? âne d abord, pourquoi? AJAX PREMIER Le roi a dit «c est vous ou moi»! MÉNÉLAS Oh! ça vous allez un petit peu loin. AGAMEMNON C est la deuxième syllabe, cher ami. Pauvre garçon... Et qui a dit «emmailloté»? AJAX DEUXIÈME Moi, mais je le retire. AGAMEMNON Ouais. Et si j ai un conseil à donner à celui qui a dit «carotte», c est d eu faire autant. ACHILLE Et pourquoi ? Enfin! ... il y a «hotte» dans «carotte». Dans «carotte » il y a «hotte»! AGAMEMNON Bon, cherchons quelqu un de plus malin. Personne? Pâris s avance. HÉLÈNE défaillant Oh lui... AGAMEMNON Un berger! Que veux-tu? PÂRIS Dire la charade! ACHILLE Jeune prétentieux! AGAMEMNON Il est vrai qu après les rois, ça ne fait pas... Bref! Parle! Vite! Nous t écoutons. PÂRIS Mon premier est le lac chez les voisins d Albion «loch»... MÉNÉLAS Oui, oui, oui... PÂRIS Mon deuxième, c est vous ou moi «homme»... HÉLÈNE Oh oui, oui... PÂRIS Mon troisième quand cuit le poisson empêche l odeur du graillon... ACHILLE «Hotte»! AGAMEMNON Tout le monde l a dit! ACHILLE Oui, eh bien je t attends au quatrième. PÂRIS Il est bête, le quatrième, mais il n est pas difficile. Une rive sans r «ive»... Loch-homme-hotte-ive! ACHILLE Locomotive! J ai trouvé! PÂRIS Oui, locomotive! Et c est fort d avoir trouvé ça quatre mille ans avant l invention des chemins de fer! ACHILLE Et c est moi qui l ai dit! AGAMEMNON Achille, vous commencez à me... Taisez-vous! Le berger a gagné. HÉLÈNE Vainqueur! C est mon vainqueur! ORESTE Fanfare, fanfare pour l inconnu! TOUS Gloire! AGAMEMNON Et maintenant, les bouts rimés. Les bouts rimés, deuxième épreuve! Ménélas, lisez les rimes. MÉNÉLAS Me voici! C est un peu facile. C est pour un premier concours... très vite Chaîne, poids, peine, trois. Chaîne, poids, peine, trois. AGAMEMNON Allons-y mes poètes! Enfonçons le berger! CALCHAS On redemande les rimes! MÉNÉLAS Chaîne, poids, peine, trois. AJAX DEUXIÈME A moi messieurs! c est un quatrain … Toute chaîne a de poids, toute peine en a trois. AGAMEMNON Vous comprenez, Ménélas? MÉNÉLAS Pas du tout, mais c est joli, c est doux, ça ne veut rien dire, mais c est doux. Vous ferez école, Ajax. ACHILLE A moi! Attachez-moi avec une grosse chaîne, mettez-moi dans le dos une quantité de poids, et malgré tout ça je m en irai sans peine jusqu à Troie. AGAMEMNON Ce ne sont pas des vers! ACHILLE Mais pourquoi? AGAMEMNON Oh! si c est toute une education... Nous n avons pas le temps... AJAX PREMIER Ah c est le roi... TOUS Le berger! le berger! Ah!... PÂRIS On me redemande? HÉLÈNE Yes... MÉNÉLAS V la qu elle parle grec! ... Je consens! HÉLÈNE Parle! ... PÂRIS Et moi je dis Quand on est deux, l hymen est une chaîne dont il est malaisé de supporter le poids... HÉLÈNE Oui … PÂRIS … mais on la sent peser à peine quand on est trois. HÉLÈNE Merveilleux.., délicieux.. MÉNÉLAS Je n ai pas tout compris, mais c est bien tapé! AGAMEMNON A vous berger, la couronne de lauriers... 8 - Finale TOUS Gloire! Gloire, gloire au berger victorieux! Il est vraiment ingénieux. Gloire, gloire au berger victorieux! ACHILLE furax Vaincu! Par un berger! AGAMEMNON Quel est donc ce quidam? PÂRIS Ce quidam est Pâris, le fils du roi Priam! TOUS Pâris! HÉLÈNE O ciel, ô ciel! L homme à la pomme! PÂRIS L homme à la pomme! TOUS O ciel, c est l homme à la pomme! L homme à la pomme, ô ciel! Ah, ah, ah, ah! MÉNÉLAS très content Ainsi vous êtes gentilhomme? Vraiment, vraiment j en suis bien aise. Hélène, avec chagrin, eût de sa noble main posé le vert laurier sur le front d un vilain. à Hélène Couronnez-le, Madame. HÉLÈNE avec transport Ah ! De toute mon âme! TOUS Gloire â Pâris victorieux! Il est vraiment ingénieux. MÉNÉLAS Et maintenant, j espère, pour ce soir, que dans nos royales demeures nous aurons l honneur de vous voir. HÉLÈNE avec sentiment Nous dînons à sept heures... Nous nous mettons à table à sept heures. PÂRIS Fille de Jupiter, je ne l oublierai pas. Non, non, non, non, je ne l oublierai pas. HÉLÈNE à part C est la fatalité qui le met sur mes pas! CALCHAS à Pâris Eh bien! Es-tu bien content? PÂRIS bas Je le serai bien davantage si ce monarque était absent! CALCHAS Je vais arranger ça! PÂRIS Merci mon bon Calchas! CALCHAS Philocome, à l ouvrage! Coup de tonnerre. Saisissement. AGAMEMNON Oh! La foudre gronde et voilà le monde tout interloqué, oui, tout interloqué! TOUS Ce coup de tonnerre, annonce à la terre, annonce à la terre un communiqué! CALCHAS comme taquiné par une main invisible Depuis les pieds jusqu à la tête je sens comme un chatouillement. Finis, Jupiter, que c est bête! LE CHOEUR Ecoutons tous, c est le moment! CALCHAS comme inspiré Les dieux décrètent, décrètent par ma voix, par ma voix, Jupiter décrète, Jupiter décrète il faut que Ménélas aille passer un mois... MÉNÉLAS Où çà? CALCHAS … dans les montagnes de la Crète. MÉNÉLAS Allons, bon! Partir pour la Crète! HÉLÈNE Allez, partez pour la Crète! PÂRIS Mon bon Calchas, merci, merci! MÉNÉLAS Que diable vais-je faire en Crète? TOUS Allez, partez pour la Crète. Va, pars, va, pars! Partez, partez, partez! HÉLÈNE à Ménélas Va-t-en, mon loulou, va-t-en n importe où! Ah, ah! Le roi plaintif qui s embarque, -tif qui s embarque, -tif qui s embarque, est bien imprudent. TOUS Bien im-, bien imprudent. HÉLÈNE Et le peuple entier remarque, pl entier remarque, pl entier remarque, que dans un moment... TOUS Dans un, dans un moment... HÉLÈNE Il sera, pour ce monarque, fâcheux d être absent. Le roi plaintif qui s embarque, -tif qui s embarque, -tif qui s embarque, est bien imprudent. bien im-, bien imprudent. TOUS Le roi plaintif qui s embarque, -tif qui s embarque, -tif qui s embarque, est bien imprudent. Va, pars, va, pars, pars pour la Crête. Que rien ne t arrête, ni flots ni tempête. Va, pars, pars pour la Crête. Gagne, Ménélas, le pays lointain où te mène, hélas, la voix du destin! Adieux de Ménélas. Joie de Pâris. Ouverture ACTE I Une place publique à Sparte 1 - Introduction CHOEUR Vers tes autels, Jupin, nous accourons joyeux, A toi nos voeux! Nous voici tous à tes genoux!l Dieu souverain des Dieux toi dont la barbe est d or écoute nos accents, ô Jupiter Stator! Vers tes autels nous accourons joyeux. Accepte nos offrandes, père des immortels. Accepte nos offrandes, pour parer tes autels. Accepte ces corbeilles de joncs et de roseaux et ces grappes vermeilles et ces deux tourtereaux. Accepte nos offrandes. Vers tes autels, Jupin, etc. CALCHAS Trop de fleurs. Trop de fleurs... Tristes offrandes... Tous ces bouquets nous encombrent... Sinistres offrandes! … Ah... Il est loin le temps béni des tas de boeufs fumants et des entrailles de mouton... Quant aux dieux! … Ils s en vont. PHILOCOME Pas tous, Seigneur, voyez Vénus. CALCHAS Oui, merci, je sais... J ai vu dans « Les Echos de Cythère» la courbe des offrandes du mois passé. Scandaleux l PHILOCOME Il va faire des affaires l augure de Vénus. CALCHAS Evidemment, ils n en ont que pour elle. C est depuis le concours du mont Ida, depuis qu elle a vaincu Minerve, et Junon, grâce à ce berger, ce Pâris. Et sous les yeux de Jupiter, notre père, qui maintenant est dans une de ces baisses ... Trop de fleurs, ami, trop de fleurs... Ce n est plus un sacrifice, c est Interflora ! PHILOCOME Une déesse? CALCHAS Non, Presque. Enfin, bref, il y a un pépin. La journée sera chaude. PHILOCOME grivois L anniversaire... CALCHAS L anniversaire... La fête d Adonis. Ce jour, Vénus, filant le secourir, déchira ses petits pieds vide sou sang colora les ruses qui n étaient que blanches avant l événement. Cette histoire est d un poétique!l A propos, tu porteras ce bouquet à la petite M égara, celle qui tient le magasin «Hercule» près du temple de Bacchus. Trop de fleurs... Tristes offrandes... Sinistres offrandes... Tais-toi! La journée commence voici venir la plus belle moitié de Sparte, les pleureuses d Adonis guidées par notre splendide souveraine. 1bis - Choeur des jeunes filles CHOEUR C est le devoir des jeunes filles, rejetons des grandes familles, de soupirer dc temps en temps sur la mort des beaux jeunes gens. HÉLÈNE animée Adonis, nous versons dus ai mes sur ton sort et toi, Vénus, vois nos alarmes. L amour se meurt, l amour est mort! CHOEUR L amour se meurt, l amour est mort! 2a - Couplets HÉLÈNE Amours divins! Ardentes flammes! Vénus! Adonis! Gloire à vous! Le feu brûlant nos folles âmes, Hélas, ce feu n est plus en nous. Ecoute-nous, Vénus, Vénus la blonde, il nous faut de l amour, n en fût-il plus au monde! CHOEUR Il nous faut de l amour, n en fût-il plus au monde! HÉLÈNE Il nous faut de l amour, nous voulons de l amour! Les temps présents sont plats et fades Plus d amour, plus de passion! Et nos pauvres âmes malades se meurent de consomption! Ecoute-nous, Vénus, Vénus la blonde, il nous faut de l amour, n en fût-il plus au monde! CHOEUR Nous voulons de l amour, n en fût-il plus au monde! Le choeur des femmes a disparu. Hélène reste seule avec Calchas. HÉLÈNE Calchas, restez. CALCHAS Toujours, fille de Léda. Mais, j ai sacrifice... HÉLÈNE Le sacrifice attendra. CALCHAS Quest-ce qu il y a encore? Voyons... HÉLÈNE Il y a... Vous allez dire que je suis folle, comme l autre fois ... CALCHAS Reine! Jamais! Le respect... HÉLÈNE Non, Calchas, l histoire du mont Ida, j y pense sans cesse. Ce bois, ces déesses, cette pomme et ce berger... Oh, ce berger... ! Vous n avez pas eu de nouveaux détails? CALCHAS Non, reine, désolé. Bon... Le sacrifice… HÉLÈNE Calchas, dites-moi! Redites-moi! Pour remercier ce berger, Vénus lui a promis l amour de la plus belle femme du monde, oui? …Oui? CALCHAS Oui, je vous dis. C est officiel. HÉLÈNE Et la plus belle femme du monde? CALCHAS C est vous! HÉLÈNE Taisez-vous, taisez-vous C est elle. Par mon père! Toujours elle! CALCHAS Elle? Qui, elle? HÉLÈNE La fatalité, la fatalité qui vit près de moi. CALCHAS Ça, au moins, c est vrai. Bien... Grande reine... HÉLÈNE Ma naissance, Calchas, mon hérédité, vous la connaissez? Ce cygne traqué par un aigle que Léda sauva dans ses bras... Ce cygne, c était mon père, comment voulez-vous que je sois une femme ordinaire? Asseyez-vous Calchas, aidez-moi, vous qui connaissez les égarements de ma jeunesse, après tous ces naufrages, j avais cru arriver au port. CALCHAS C était Ménélas,.. HÉLÈNE J ai tout fait pour l aimer. Tout, tout. Je n ai pas pu... hélas, je n ai pas pu... CALCHAS Quand on ne peut pas … on ne peut pas! HÉLÈNE Qu est-ce qu il va devenir?... Dieux! J aurais tant aimé une vie calme et bourgeoise à Mitylène... Pourtant ... C est Vénus qui ordonne. Et la fatalité..., la fatalité... CALCHAS C est une excuse. HÉLÈNE Tais-toi, entends, Calchas, le peuple qui m accuse et qui, suivant mon char, immense et belle foule crie Ça, ça n est pas une reine, c est une poule. CALCHAS Une poule? HÉLÈNE Est-ce ma faute à moi, si je suis la fille d un oiseau? 2bis CALCHAS pendant la musique Non... bien sûr. Mais entrez, entrez grande Reine, voici venir Oreste! HÉLÈNE Oh! Mon chou de neveu! CALCHAS Oui, et assez mal accompagné... HÉLÈNE C est de famille... Oh, les Atrides... Il est sans doute avec Parthénis. Elle n est pas vilaine, cette Parthénis, il n y a vraiment que ces filles pour s habiller comme ça l Hélène sort. 3 - Chanson d Oreste ORESTE Au cabaret du labyrinthe, cette nuit, j ai soupé, mon vieux, avec ces filles de Corinthe, tout ce que la Grèce a de mieux. C est Parthénis et Léoena qui m ont dit te vouloir connaître. CALCHAS Pouvais-je m attendre à cela? Mesdames, j ai bien l honneur d être... ORESTE C est Parthénis et Léoena. CHOEUR DES JEUNES FILLES C est Parthénis et Léoena. CALCHAS C est Parthénis et Léoena. ORESTE Tzing la la, tzing la la, oya Kephale, Kephale, o la la! TOUS Tzing la la, tzing la la, oya Kephale, Kephale, o la la! ORESTE Regardez ces petits nez roses, petites mains et pieds mignons, et toutes ces petites choses qui font les grandes passions. C est Parthénis et Léoena qui m ont dit te vouloir connaître. CALCHAS Pouvais-je m attendre à cela? Mesdames, j ai bien l honneur d être... ORESTE C est Parthénis et Léoena. CHOEUR DES JEUNES FILLES C est Parthénis et Léoena. CALCHAS C est Parthénis et Léoena. ORESTE Tzing la la, tzing la la, oya Kephale, Kephale, o la la! TOUS Tzing la la, tzing la la, oya Kephale, Kephale, o la la! ORESTE C est avec ces dames qu Oreste fait danser l argent à papa. Papa s en fiche bien au reste car c est la Grèce qui paiera. C est Parthénis et Léoena qui m ont dit te vouloir connaître. CALCHAS Pouvais-je m attendre à cela? Mesdames, j ai bien l honneur d être... ORESTE C est Parthénis et Léoena. CHOEUR DES JEUNES FILLES C est Parthénis et Léoena. CALCHAS C est Parthénis et Léoena. ORESTE Tzing la la, tzing la la, oya Kephale, Kephale, o la la! TOUS Tzing la la, tzing la la, oya Kephale, Kephale, o la la! ORESTE Mesdemoiselles, voici le Calchas demandé! Calchas le célèbre augure, l oracle officiel d Agamemnon, eh, Calchas, quoi! CALCHAS Enchanté... Excusez-moi, un sacrifice pressé... LÉOENA Un sacrifice … aujourd hui? PARTHÉNIS A quelle occase? CALCHAS Tiens, vous parlez l Argos? PARTHÉNIS Quand ça m vient! CALCHAS Eh bien, à l occase de la fête d Adonis. Et vous ne pouvez pas rentrer. Je vous connais, vous allez encore troubler le sacrifice. C est la Reine, elle-même, qui préside la cérémonie. ORESTE La reine? Ma tante Hélène? Elle n est pas très bien placée... CALCHAS Jeune homme! ORESTE Très bien, ne nous fâchons pas, nous nous inclinons et nous partons. Ciao, Calchas, bisous à ma tante! 3bis - Sortie d Oreste ORESTE, CHOEUR Tzing la la, tzing la la, oya Kephale, Kephale, o la la! CALCHAS Tzing la la, tzing la la! Mes Dieux! Et dire que c est le fils d Agamemnon!Ah la folle, la folle jeunesse! Moi aussi, autrefois, j aurai pu... Hélas, les dieux n ont pas voulu... Bon, maintenant, au sacrifice, au sacrifice!l PÂRIS Monsieur? C est vous le devin de Jupiter? CALCHAS Oui, c est moi. à part Mais qu est-ce qu ils ont tous?... Excusez-moi, mais je suis occupé, oc-cu-pé! Un sacrifice extrêmement en retard! PÂRIS Le sacrifice attendra. CALCHAS Pardon? Vous voulez peut-être que je vous tire les cartes? Comme dans les faubourgs de Phrygie! PÂRIS à part Quel devin... à lui Vous avez reçu la lettre de Vénus? CALCHAS Pas du tout, monsieur. à part Un fou! Il ne manquait plus que cela... PÂRIS C est bizarre... la colombe est partie avant moi... CALCHAS à part Au secours! PÂRIS Vous ne me croyez pas, monsieur? Alors, regardez... 4 - Mélodrame Musique très douce à l orchestre CALCHAS Quoi ? PÂRIS Là-bas, dans l azur... ce petit point qui grossit, grossit, grossit ...... CALCHAS regardant Eh bien, c est un oiseau. PÂRIS Eh bien, c est ma colombe. Et c est ma lettre. CALCHAS Par Vénus! PÂRIS Comme vous dites... CALCHAS Mais, mais!... Qu est-ce qu elle veut, là? La colombe, arrivant de la droite, vient s abattre sur le doigt de Pâris. Elle bat des ailes et tient une lettre dans son bec. PÂRIS Elle demande s il y a une réponse. à la colombe Il n y en a pas. CALCHAS regardant la lettre Le timbre de Cythère... C est bien de Vénus. Vénus... 5 - Mélodrame CALCHAS lisant Homme de vingt ans à la tête blonde, un berger viendra. An nom de Vénus, qui sortit de l onde, Calchas l entendra. À ce doux berger dont Vénus proclame le goût merveilleux, Vénus a promis la plus belle femme qui soit sous les cieux. Lors, quand paraîtra la divine Hélène, fille de Léda, Calchas an berger montrera la reine en disant «Voilà!» PÂRIS Voilà! CALCHAS Alors, c est vous, Pâris, le fils du roi Priam, le frère du grand Hector? Mais vous savez qu on parle de vous partout, les télés, les journaux, les oracles, partout ! Alors c est vous, ce jugement? PÂRIS Eh oui, c est moi. CALCHAS Donc, vous avez vu la déesse? PÂRIS Comme je vous vois, enfin … CALCHAS Et ça ne vous embêterait pas de... PÂRIS De quoi? CALCHAS De me donner un petit aperçu... PÂRIS Mais pas du tout monsieur, écoutez l aperçu. 6 - Le jugement de Pâris PÂRIS Au mont Ida, trois Déesses se querellaient dans un bois. Quelle est, disaient ces Princesses, la plus belle de nous trois? Evohé, que ces Déesses, pour enjôler les garçons, évohé, que ces Déesses ont de drôles de façons. Dans ce bois passe un jeune homme, un jeune homme Irais et beau (C est moi!) Sa main tenait une pomme, vous voyez bien le tableau. Ah, holà, eh! Le beau jeune homme, im instant, arrêtez-vous, et veuillez donner la pomme à la plus belle de nous. Evohé, que ces Déesses, pour enjôler les garçons, évohé, que ces Déesses ont de drôles de façons. L une dit j ai ma réserve, ma pudeur, ma chasteté, donne le prix à Minerve, Minerve l a mérité. Evohé, que ces Déesses, ont de drôles de façons. L autre dit j ai ma naissance, mon orgueil et mon paon. Je dois l emporter, je pense, donne la pomme à Junon. Evohé, que ces Déesses, ont de drôles de façons pour enjôler les garçons, . La troisième, ah, la troisième! La troisième ne dit rien; Elle eut le prix tout de même, Calchas, vous m entendez bien! Evohé, que ces Déesses, pour enjôler les garçons, évohé, que ces Déesses ont de drôles de façons. CALCHAS Compliments. félicitations, bravo! Vénus ordonne, j obéirai! Mes oracles et moi sommes à votre service. Faut-il vous présenter tout de suite à la reine? PÂRIS Oui, mais sans dire qui je suis. Entrent les pleureuses d Adonis et Hélène qui vient la dernière. Quand elle paraît, elle est frappée par la beauté du berger. Emotion de Pâris. CALCHAS à Pâris Lors, quand paraîtra la divine Hélène, fille de Léda, Calchas au berger montrera la reine en disant «Voilà!» Les femmes sortent. Hélène reste. Un je ne sais quoi la retient... HÉLÈNE Calchas! CALCHAS Reine? HÉLÈNE montrant Pâris Qui est ce jeune homme? CALCHAS Un étranger. HÉLÈNE Sa profession?... CALCHAS Berger. HÉLÈNE Berger?... Heureuses les bergères si ce n est qu un berger... Mais laisse-nous donc, Calchas. Je vais l interroger. CALCHAS Puisque Vénus ordonne, c est la fatalité. HÉLÈNE qui tressaille è ce mot Oh … Sort Calchas. Pourquoi suis-je troublée ainsi? Pourquoi? Jeune homme? PÂRIS Princesse? HÉLÈNE Les dieux parfois s amusent à se présenter sous un déguisement... PÂRIS Je ne suis qu un mortel... Un berger. HÉLÈNE Un berger? PÂRIS On m a dit qu il y aurait un concours. Je suis venu dans l espoir de me faire remarquer. HÉLÈNE Par ta beauté? PÂRIS Par mon intelligence. HÉLÈNE tournant autour de lui Très beau de face. Merveilleux de profil. Superbe de trois-quarts. Lève un peu la tête. N ouvre pas la bouche. Voilà, comme ça … La vache!... C est beau, un beau berger! Ben, ferme ta bouche!… PÂRIS Oh Vénus... HÉLÈNE Oh!... J oublie tout à t admirer.. Quelle heure est-il? PÂRIS regardant en l air Trois heures vingt-cinq. HÉLÈNE Tliens, j ai deux heures et quart! Trois heures vingt-cinq! Et la cérémonie qui va commencer! CALCHAS Reine, attention, le cortège! HÉLÈNE Il faut nous séparer, je voudrais te revoir. PÂRIS Oh, vous me reverrez! CALCHAS Reine! Voici les rois qui viennent, HÉLÈNE Allons ceindre le diadème et remettre un peu d Eau d lssey. CALCHAS C est très tendance, à Sparte! Hélène sort. Paris disparaît. ORESTE Le cortège de papa! Tout le monde entre. Oreste se place dans le coin à gauche avec Calchas. 7a - Marche et couplets des rois CHOEUR Voici les rois de la Grèce! Il faut que le choeur s empresse de les nommer par leur nom. Ça! Peuple, faisons silence! Voici les rois de la Grèce! Il faut que le choeur s empresse de les nommer par leur nom. Voici les rois! Voici les rois! Voici les rois! AJAX PREMIER Ces rois remplis de vaillance, -plis de vaillance, -plis de vaillance, c est les deux Ajax! ORESTE, CALCHAS Les deux Ajax! AJAX DEUXIÈME Etalant t avec jactance, t avec jactance, t avec jactance, leur double thorax... ORESTE, CALCHAS Leur dou-, double thorax! AJAX PREMIER Parmi le fracas immense des cuivres de Sax... LES DEUX AJAX Ces rois remplis de vaillance, -plis de vaillance, -plis de vaillance, c est les deux Ajax, les deux, les deux Ajax! TOUS Ces rois remplis de vaillance, c est les deux Ajax! ACHILLE entrant Je suis le bouillant Achille, le bouillant Achille, le bouillant Achille, le grand myrmidon! ORESTE, LES DEUX AJAX, CALCHAS Le myr-, le myrmidon! ACHILLE Combattant un contre mille, un contre mille, un contre mille, grâce à mon plongeon! ORESTE, LES DEUX AJAX, CALCHAS Grâce, grâce au plongeon! ACHILLE J aurais l esprit bien tranquille, n était mon talon! Je suis le bouillant Achille, le bouillant Achille, le bouillant Achille, le grand myrmidon, le myr-, le myrmidon! LES MÊMES, LE CHOEUR Voici le bouillant Achille, le bouillant Achille, le grand myrmidon! MÉNÉLAS entrant Je suis l époux de la reine, -poux de la reine, -poux de la reine, le roi Ménélas! ORESTE, ACHILLE, LES DEUX AJAX, CALCHAS Le Méné-, le Ménélas! MÉNÉLAS Je crains bien qu un jour Hélène, qu un jour Hélène, qu un jour Hélène, je le dis tout bas... TOUS Il le dit tout, tout, tout bas! MÉNÉLAS Ne me fasse de la peine, n anticipons pas. Je suis l époux de la reine, -poux de la reine, -poux de la reine, le roi Ménélas, le Mé-, le Ménélas! TOUS Il l époux de la reine, -poux de la reine, -poux de la reine, le roi Ménélas! AGAMEMNON entrant Le roi barbu qui s avance, -bu qui s avance, -bu qui s avance, c est Agamemnon... TOUS Aga-, Agamemnon! AGAMEMNON Et ce nom seul nie dispense, seul me dispense, seul me dispense, d en dire plus long. TOUS d en di-, dire plus long. AGAMEMNON J en ai assez dit, je pense, en disant mon nom, le roi barbu qui s avance, -bu qui s avance, -bu qui s avance, c est Agamemnon, Aga-, Agamemnon. TOUS Le roi barbu qui s avance, c est Agamemnon! Aga-, Aga-, Agamemnon! CALCHAS qui ramène Hélène La Reine! 7bis - Reprise de la marche CHOEUR Voici les rois de la Grèce! Il faut que le choeur s empresse de les nommer par leur nom. Voici les rois de la Grèce! Voici les rois, voici les rois! AGAMEMNON Rois et peuples de la Grèce, salut à vous! Cette journée ne sera consacrée qu aux choses de l intelligence. Des forts, des braves, nous en avons. Les deux Ajax sont forts, le bouillant Achille est fort, moi même, hé... Ce que nous n avons pas, ce que nous n avons plus, ce sont des gens d esprit. La Grèce s abrutit. Achéens, mes amis, il ne s agira pas aujourd hui de lancer le char ou de conduire le disque, jeunes élèves, rois, poètes, bergers... HÉLÈNE Berger? AGAMEMNON Tous sont également admis à disputer le prix. Et vous, fanfares, sonnez pour mon éloquence en attendant le triomphe du lauréat. ORESTE Bravo papa! AGAMEMNON Nous commençons. Ménélas, mon frère, veuillez donner lecture. MÉNÉLAS Avec coeur. Mon premier est le lac chez nos voisins d Albion. Mon deuxième, c est vous ou moi. Mon troisième, quand cuit le poisson, empêche l odeur du graillon. TOUS Hotte! hotte! AGAMEMNON Le troisième c est «hotte». L abrutissement n est pas aussi complet qu on pourrait croire. Bien... Continuez, roi Ménélas. MÉNÉLAS Mon quatrième est une rive où manque l air absolument. Mon tout par les chemins s en va comme le vent. C est terminé. AGAMEMNON Eh bien, allez-y, jeunes athlètes! AJAX PREMIER Anecdotique! AJAX DEUXIÈME Emmailloté! ACHILLE Carotte! Ils répètent ces trois mots tous les trois ensemble. AGAMEMNON Qui a dit «anecdotique»? AJAX PREMIER Moi! AGAMEMNON Et pourquoi? âne d abord, pourquoi? AJAX PREMIER Le roi a dit «c est vous ou moi»! MÉNÉLAS Oh! ça vous allez un petit peu loin. AGAMEMNON C est la deuxième syllabe, cher ami. Pauvre garçon... Et qui a dit «emmailloté»? AJAX DEUXIÈME Moi, mais je le retire. AGAMEMNON Ouais. Et si j ai un conseil à donner à celui qui a dit «carotte», c est d eu faire autant. ACHILLE Et pourquoi ? Enfin! ... il y a «hotte» dans «carotte». Dans «carotte » il y a «hotte»! AGAMEMNON Bon, cherchons quelqu un de plus malin. Personne? Pâris s avance. HÉLÈNE défaillant Oh lui... AGAMEMNON Un berger! Que veux-tu? PÂRIS Dire la charade! ACHILLE Jeune prétentieux! AGAMEMNON Il est vrai qu après les rois, ça ne fait pas... Bref! Parle! Vite! Nous t écoutons. PÂRIS Mon premier est le lac chez les voisins d Albion «loch»... MÉNÉLAS Oui, oui, oui... PÂRIS Mon deuxième, c est vous ou moi «homme»... HÉLÈNE Oh oui, oui... PÂRIS Mon troisième quand cuit le poisson empêche l odeur du graillon... ACHILLE «Hotte»! AGAMEMNON Tout le monde l a dit! ACHILLE Oui, eh bien je t attends au quatrième. PÂRIS Il est bête, le quatrième, mais il n est pas difficile. Une rive sans r «ive»... Loch-homme-hotte-ive! ACHILLE Locomotive! J ai trouvé! PÂRIS Oui, locomotive! Et c est fort d avoir trouvé ça quatre mille ans avant l invention des chemins de fer! ACHILLE Et c est moi qui l ai dit! AGAMEMNON Achille, vous commencez à me... Taisez-vous! Le berger a gagné. HÉLÈNE Vainqueur! C est mon vainqueur! ORESTE Fanfare, fanfare pour l inconnu! TOUS Gloire! AGAMEMNON Et maintenant, les bouts rimés. Les bouts rimés, deuxième épreuve! Ménélas, lisez les rimes. MÉNÉLAS Me voici! C est un peu facile. C est pour un premier concours... très vite Chaîne, poids, peine, trois. Chaîne, poids, peine, trois. AGAMEMNON Allons-y mes poètes! Enfonçons le berger! CALCHAS On redemande les rimes! MÉNÉLAS Chaîne, poids, peine, trois. AJAX DEUXIÈME A moi messieurs! c est un quatrain … Toute chaîne a de poids, toute peine en a trois. AGAMEMNON Vous comprenez, Ménélas? MÉNÉLAS Pas du tout, mais c est joli, c est doux, ça ne veut rien dire, mais c est doux. Vous ferez école, Ajax. ACHILLE A moi! Attachez-moi avec une grosse chaîne, mettez-moi dans le dos une quantité de poids, et malgré tout ça je m en irai sans peine jusqu à Troie. AGAMEMNON Ce ne sont pas des vers! ACHILLE Mais pourquoi? AGAMEMNON Oh! si c est toute une education... Nous n avons pas le temps... AJAX PREMIER Ah c est le roi... TOUS Le berger! le berger! Ah!... PÂRIS On me redemande? HÉLÈNE Yes... MÉNÉLAS V la qu elle parle grec! ... Je consens! HÉLÈNE Parle! ... PÂRIS Et moi je dis Quand on est deux, l hymen est une chaîne dont il est malaisé de supporter le poids... HÉLÈNE Oui … PÂRIS … mais on la sent peser à peine quand on est trois. HÉLÈNE Merveilleux.., délicieux.. MÉNÉLAS Je n ai pas tout compris, mais c est bien tapé! AGAMEMNON A vous berger, la couronne de lauriers... 8 - Finale TOUS Gloire! Gloire, gloire au berger victorieux! Il est vraiment ingénieux. Gloire, gloire au berger victorieux! ACHILLE furax Vaincu! Par un berger! AGAMEMNON Quel est donc ce quidam? PÂRIS Ce quidam est Pâris, le fils du roi Priam! TOUS Pâris! HÉLÈNE O ciel, ô ciel! L homme à la pomme! PÂRIS L homme à la pomme! TOUS O ciel, c est l homme à la pomme! L homme à la pomme, ô ciel! Ah, ah, ah, ah! MÉNÉLAS très content Ainsi vous êtes gentilhomme? Vraiment, vraiment j en suis bien aise. Hélène, avec chagrin, eût de sa noble main posé le vert laurier sur le front d un vilain. à Hélène Couronnez-le, Madame. HÉLÈNE avec transport Ah ! De toute mon âme! TOUS Gloire â Pâris victorieux! Il est vraiment ingénieux. MÉNÉLAS Et maintenant, j espère, pour ce soir, que dans nos royales demeures nous aurons l honneur de vous voir. HÉLÈNE avec sentiment Nous dînons à sept heures... Nous nous mettons à table à sept heures. PÂRIS Fille de Jupiter, je ne l oublierai pas. Non, non, non, non, je ne l oublierai pas. HÉLÈNE à part C est la fatalité qui le met sur mes pas! CALCHAS à Pâris Eh bien! Es-tu bien content? PÂRIS bas Je le serai bien davantage si ce monarque était absent! CALCHAS Je vais arranger ça! PÂRIS Merci mon bon Calchas! CALCHAS Philocome, à l ouvrage! Coup de tonnerre. Saisissement. AGAMEMNON Oh! La foudre gronde et voilà le monde tout interloqué, oui, tout interloqué! TOUS Ce coup de tonnerre, annonce à la terre, annonce à la terre un communiqué! CALCHAS comme taquiné par une main invisible Depuis les pieds jusqu à la tête je sens comme un chatouillement. Finis, Jupiter, que c est bête! LE CHOEUR Ecoutons tous, c est le moment! CALCHAS comme inspiré Les dieux décrètent, décrètent par ma voix, par ma voix, Jupiter décrète, Jupiter décrète il faut que Ménélas aille passer un mois... MÉNÉLAS Où çà? CALCHAS … dans les montagnes de la Crète. MÉNÉLAS Allons, bon! Partir pour la Crète! HÉLÈNE Allez, partez pour la Crète! PÂRIS Mon bon Calchas, merci, merci! MÉNÉLAS Que diable vais-je faire en Crète? TOUS Allez, partez pour la Crète. Va, pars, va, pars! Partez, partez, partez! HÉLÈNE à Ménélas Va-t-en, mon loulou, va-t-en n importe où! Ah, ah! Le roi plaintif qui s embarque, -tif qui s embarque, -tif qui s embarque, est bien imprudent. TOUS Bien im-, bien imprudent. HÉLÈNE Et le peuple entier remarque, pl entier remarque, pl entier remarque, que dans un moment... TOUS Dans un, dans un moment... HÉLÈNE Il sera, pour ce monarque, fâcheux d être absent. Le roi plaintif qui s embarque, -tif qui s embarque, -tif qui s embarque, est bien imprudent. bien im-, bien imprudent. TOUS Le roi plaintif qui s embarque, -tif qui s embarque, -tif qui s embarque, est bien imprudent. Va, pars, va, pars, pars pour la Crête. Que rien ne t arrête, ni flots ni tempête. Va, pars, pars pour la Crête. Gagne, Ménélas, le pays lointain où te mène, hélas, la voix du destin! Adieux de Ménélas. Joie de Pâris. Offenbach,Jacques/La belle Hélène/II
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ACTE II Premier Tableau (La scène représente un carrefour au bas de la butte Montmartre. À gauche, au fond de la scène, un escalier descendant; plus à gauche, une ruelle puis un hangar; à droite, une maison et un cabaret; au fond, à droite, un escalier montant, plus à droite une ruelle; au loin, à droite, la Butte; à gauche le faubourg) Scène Première (Au lever du rideau, sous le hangar, une laitière prépare son étalage et allume son feu; près d elle, sur une table à la terrasse d un marchand de vin, une fillette (17 ans) plie les journaux du matin. A droite, près d une poubelle renversée, une petite chiffonnière travaille hâtivement; à côté d elle une glaneuse de charbon et, plus loin, un bricoleur fouillent les ordures. Des ménagères vont aux provisions. Cinq heures du matin, en avril. Un léger brouillard enveloppe la ville) ▼LA PETITE CHIFFONNIÈRE▲ (à la glaneuse) Dir qu en c moment y a des femmes qui dorment dans de la soie! ▼LA GLANEUSE DE CHARBON▲ Bah! les draps de soie s usent plus vite que les autres. ▼LA PETITE CHIFFONNIÈRE▲ Oui, parce qu on y dort plus longtemps! ▼LA GLANEUSE▲ Grande bête! ton tour viendra… (Un noctambule paraît) ▼LA PETITE CHIFFONNIÈRE▲ Mon tour? si c était vrai! (Le noctambule s approche de la plieuse) ▼LE NOCTAMBULE▲ Si jolie, si matin… (il tourne autour de la fillette) Malice du destin, qui revêt de satin et de robes d aurore les guetteuses de nuit aux rides inclémentes et cache au libertin, sous des voiles de nuit les fillettes d aurore que le désir tourmente. (à la plieuse) Un baiser? ▼LA PLIEUSE▲ Passez vot chemin! ▼LE NOCTAMBULE▲ (riant) Mon chemin, je le cherche… me tendras-tu la perche? (avec afféterie) Sans les lanternes de tes jolis yeux, je risque fort de me perdre! tu veux?… (La fillette lui tourne le dos) ▼LA GLANEUSE▲ (s étirant) Ah! ▼LE BRICOLEUR▲ (geignant) Ah! ▼LE NOCTAMBULE▲ (regardant autour de lui) En ce froid carrefour où gémit la souffrance, je me sens mal à l aise, (à la fillette) et sans ta jeune chair il me semblerait choir au seuil du sombre enfer où le Dante écrivit Ici point d espérance! Le son de ma voix éveille-t-il en toi une vague souvenance… que tu restes songeuse?… ou bien un frais désir fait-il bondir ton coeur d amoureuse? ▼LA PLIEUSE▲ (riant) Vous êtes fou! ▼LA LAITIÈRE▲ (riant) Sa folie n est pas dangereuse!… (le noctambule fait une pirouette) Qui êtes-vous ? ▼LE NOCTAMBULE▲ (rejetant son manteau sur l épaule et apparaissant séduisant, tout à fait joli dans un costume de printemps auquel sont piqués quelques grelots de folie) Je suis le Plaisir de Paris! (Les deux femmes font un geste d étonnement admiratif. La petite chiffonnière, la glaneuse, le bricoleur interrompent leur travail et s approchent. D autres figures de souffrance, sorties de l ombre, se groupent derrière eux. Le noctambule pirouette de nouveau) ▼LA LAITIÈRE▲ Où allez-vous? ▼LE NOCTAMBULE▲ Je vais vers les Amantes que le Désir tourmente! Je vais cherchant les coeurs qu oublia le bonheur. (montrant la ville) Là-bas glanant le Rire, ici semant l Envie, prêchant partout le droit de tous à la folie Je suis le Procureur de la grande Cité! Ton humble serviteur… ou ton maître! ▼LA LAITIÈRE▲ (le menaçant de son balai) Effronté! (Il s enfuit en riant) ▼LE NOCTAMBULE▲ Ha! ha! ha! ha! ha! ha! ha! ha! (Au coin de la rue, il heurte violemment le chiffonnier et disparaît) ▼LE CHIFFONNIER▲ Hé! fait attention! butor! (le chiffonnier chancelle et tombe) ▼LE NOCTAMBULE▲ (déjà loin) Je suis le Procureur de la grande Cité! (Le bricoleur s avance vers le chiffonnier; il le débarrasse de sa hotte, puis le relève) ▼LE CHIFFONNIER▲ (à part) Ah!… je le connais… le misérable! ce n est pas la première fois qu il se trouve sur mon chemin! (au bricoleur) Un soir, il y a longtemps, je m en souviens comme si c était hier… ici, au même endroit, il m est apparu… (La plieuse fait un paquet de ses journaux et s en va) hélas! il n était pas seul ce jour-là… une fillette lui donnait la main et souriait à sa chanson… c était ma fille! (dramatique) Je l avais laissée là, au travail… il est venu, il lui a soufflé à l oreille ses tentations mauvaises… (douloureux) et la coquette l a écouté… ell l a suivi… en s enfuyant, ell m a heurté… comme aujourd hui… je suis tombé! Ah! ah! ah! ah! (Il sanglote et se met au travail) ▼LA GLANEUSE, LA CHIFFONIERE▲ Pauvre homme! ▼LE BRICOLEUR▲ Bah! dans toutes les familles, c est la même chose! Moi, j en avais trois, je n ai pu les tenir! Faut pas leur en vouloir si elles préfèr à notre vie d enfer le paradis qui les appelle là-bas… ▼LA PETITE CHIFFONNIÈRE▲ (à part) Est-c que les bons lits, les belles robes, comme le soleil, (elle tend les bras vers le soleil dont les premiers rayons éclairent la Butte) ne devraient pas être à tout le monde! Scène Seconde (Deux gardiens de la paix traversent lentement la scène et s approchent de la laitière. Le carrefour s anime. Une balayeuse apparaît au fond et s avance vers le groupe) ▼PREMIER GARDIEN▲ (à la laitière) Belle journée! ▼LA LAITIÈRE▲ Voici le printemps. ▼PREMIER GARDIEN▲ La saison des amours… ▼LA LAITIÈRE▲ Pour ceux qui ont vingt ans! ▼DEUXIÈME GARDIEN▲ Bah! chacun son tour… ▼LA LAITIÈRE▲ J attends encore le mien! ▼PREMIER GARDIEN▲ Vous n avez jamais aimé? (Un gavroche s approche de l éventaire et se chauffe les mains au fourneau) ▼LA LAITIÈRE▲ (simplement) Je n ai pas eu le temps! (Les gardiens rient) ▼LA GAVROCHE▲ (à la laitière) Un p tit noir? ▼LA BALAYEUSE▲ (fanfaronne) Moi, j ai eu ch vaux et voitures… Y a vingt ans (triomphante) j étais la reine de Paris! (comique) quell dégringolade! hein? mais je ne regrette rien… je me suis tant amusée… (sentimentale) Ah! la belle vie! le joyeux, le tendre, l inoubliable paradis! (Le gavroche, qui l a écoutée, hausse les épaules, puis s approche d elle, la tire par la manche) ▼LE GAVROCHE▲ (avec une naïveté feinte) Dites donnez-moi l adresse… ▼LA BALAYEUSE▲ Quelle adresse? ▼LE GAVROCHE▲ (goguenard) L adresse… de vot paradis! ▼LA BALAYEUSE▲ Mais, mon petit, (montrant la ville, tendre) c est Paris! ▼LE GAVROCHE▲ (jouant l étonnement) Paris… (il regarde la ville) c est étonnant! depuis que j suis au monde j m en étais pas encore aperçu! ▼PREMIER GARDIEN▲ (bourru) Allons, circule! ▼LE GAVROCHE▲ (narquois, froidement) De quoi… on n peut pas s instruire?… ▼PREMIER GARDIEN▲ (brutal) Va travailler! (Il le pousse. Le gavroche immobile, toise le gardien, puis d une pirouette nonchalante il lui tourne le dos et s en va lentement arrivé au coin de la rue, il se retourne) ▼LE GAVROCHE▲ (criant, ses mains en porte-voix) Y en a donc que pour les femm s, dans vot paradis! (geste menaçant des gardiens; le gamin s enfuit; les gardiens s éloignent du même côté. La petite chiffonnière s en va d un autre côté, courbée sous le poids d un sac de chiffons. La balayeuse reprend son travail et disparaît dans la rue voisine. La glaneuse s approche de la laitière) ▼LA PETITE CHIFFONNIÈRE▲ (avec amertume) Y en a qu pour les femmes!… (Le chiffonnier et le bricoleur montent l escalier. Julien paraît au fond de la scène; il fait un geste à ses amis) Scène Troisième (Les bohèmes paraissent en haut de l escalier et s avancent, comiquement, avec des allures de conspirateurs) ▼LE PEINTRE▲ (à Julien) C est ici? ▼LE SCULPTEUR▲ C est là qu elle travaille? (la glaneuse s éloigne) ▼JULIEN▲ (indiquant la maison) Sa mère l accompagnera jusqu à cette porte… sitôt disparue, je m élance… je rattrape Louise… (rageusement) et, si ses parents refusent… ▼LE PEINTRE▲ Tu l enlèves! (Julien approuve) ▼TOUS▲ (entourant Julien) Bravo! bravo! bravo! ▼LE CHANSONNIER▲ Mais, consentira-t-elle? ▼JULIEN▲ Je la déciderai! (Ils se répandent sur la place à droite, le sculpteur, le peintre et le jeune poète; à gauche, Julien, l étudiant, les philosophes et le chansonnier. Les autres inspectent silencieusement les alentours) ▼LE PEINTRE▲ (à Julien) Nous en ferons notre Muse! ▼LE SCULPTEUR▲ (au poète) Le coin est joli… ▼LE CHANSONNIER▲ (à Julien) Muse des Bohèmes! ▼LE PEINTRE▲ (au sculpteur) Un vrai carrefour à sérénades… ▼PREMIER PHILOSOPHE▲ (avec dédain) Une muse? ▼LE SCULPTEUR▲ (au peintre) Nous aurions dû prendre nos instruments… ▼LE CHANSONNIER▲ (au philosophe) On la couronnera! (Des têtes de bonnes paraissent aux fenêtres de la maison) ▼LE SCULPTEUR▲ Nous reviendrons. ▼PREMIER PHILOSOPHE▲ Les Muses sont mortes! ▼LE CHANSONNIER▲ (enthousiaste) On les ressuscitera! ▼LE PEINTRE▲ (lorgnant les fenêtres) Les jolies filles! ▼LE SCULPTEUR▲ Mesdemoiselles? ▼LE CHANSONNIER▲ Elles sont charmantes! ▼LE JEUNE POETE▲ Ravissantes! (D autres têtes paraissent à d autres fenêtres. Les bohèmes envoient des baisers et saluent; d autres font les clowns. Le chansonnier, grattant sa canne ainsi qu une guitare, se met en évidence. À l écart dissertent les philosophes) ▼LE CHANSONNIER▲ Enfants de la bohème, Nous aimons qui nous aime! Toujours gais et pimpants, Les femm s nous trouvent séduisants… ▼DEUXIEME PHILOSOPHE▲ (à l autre) Pourquoi refuseraient-ils? ▼LE CHANSONNIER▲ Quoiqu sans argents! ▼PREMIER PHILOSOPHE▲ Ils préfèrent sans doute en faire la femme d un bourgeois! ▼LE CHANSONNIER▲ Presqu indigents! ▼DEUXIEME PHILOSOPHE▲ (ironique) Mais, les ouvriers méprisent les bourgeois! ▼PREMIER PHILOSOPHE▲ Ah! ah! tu crois ça! ▼LE CHANSONNIER▲ Mais nous somm s très intelligents! (Cris et bravos; des fenêtres on jette des sous. Les bohèmes saluent ironiquement) ▼LE PEINTRE▲ (saluant) Aimez-vous la peinture? ▼LE SCULPTEUR▲ (de même) La sculpture? ▼LE CHANSONNIER▲ (de même) La musique? ▼LE JEUNE POETE▲ Je suis un grand poète! ▼PREMIER PHILOSOPHE▲ Mon cher, l idéal des ouvriers c est d être des bourgeois. (tous approuvent) le désir des bourgeois être des grands seigneurs… (nouvelle approbation plus nourrie. Ironique) et le rêve des grands seigneurs (attention générale ironique. Emphatique) devenir des artistes! (rires) ▼LE PEINTRE▲ Et le rêve des artistes! ▼PREMIER PHILOSOPHE▲ (avec emphase) Être des dieux! ▼TOUS▲ Bravo! ▼LES BOHÈMES▲ Oui, des dieux! ▼L APPRENTI▲ (traversant la scène, passant dans le fond) Allez donc travailler, tas d feignants! (Les bohèmes esquissent une poursuite, puis ils descendent l escalier en chantant. Le philosophe, le chansonnier, le peintre et l étudiant vont dire adieu à Julien) ▼LES BOHÈMES▲ Enfants de la bohème, Nous aimons qui nous aime. Toujours gais et pimpants, les femm s nous trouvent séduisants… ▼JULIEN▲ (à ses amis, fiévreusement) Voici l heure, laissez-moi. ▼LES BOHÈMES▲ Quoiqu sans argents! ▼LE PREMIER PHILOSOPHE▲ (à Julien) Allons, bonne chance… ▼LE CHANSONNIER▲ (l excitant) Enlève la redoute!… ▼LES BOHÈMES▲ (déjà loin) Presqu indigents! ▼LE PEINTRE▲ (avec mystère) Sois éloquent! ▼L ETUDIANT▲ (donnant une accolade à Julien) A tout à l heure… (ils s éloignent) ▼LES BOHÈMES▲ (très loin) Mais nous somm s très intelligents! (cris lointains des bohèmes) Scène Quatrième ▼JULIEN▲ (dans une agitation douloureuse) Elle va paraître, ma joie, mon tourment, ma vie! Voudra-t-elle me suivre? Voudra-t-elle qu aujourd hui notre amour soit vainqueur! Que dois-je lui dire? Comment la décider? (avec angoisse) Qui viendrait à mon aide?… ▼LA REMPAILLEUSE▲ (lointaine) La caneus , racc modeus de chais s!… (Julien fait un geste de surprise) ▼MARCHAND DE CHIFFONS▲ (lointain) Marchand d chiffons, ferraille à vendr !… (Il écoute avec émoi croissant; les chants qui se rapprochent) ▼LA REMPAILLEUSE▲ (plus près) la caneus , racc modeus de chais s!… ▼LA MARCHANDE D ARTICHAUTS▲ (lointaine) artichauts, des gros artichauts! ▼LE MARCHAND DE CAROTTES▲ v là d la carott , elle est bell , v là d la carott ! d la carott ! ▼LA MARCHANDE D ARTICHAUTS▲ A la tendress , la verduress ! ▼LE MARCHAND DE CAROTTES▲ (très loin) D la carott ! ▼LA MARCHANDE DE MOURON▲ (près de la scène) Mouron pour les p tits oiseaux! ▼LA MARCHANDE D ARTICHAUTS▲ (se rapprochant) Et à un sou, vert et tendre, et à un sou! (flûte du chevrier lointain) ▼LA MARCHANDE DE MOURON▲ (près de la scène) Mouron pour les p tits oiseaux! ▼LA MARCHANDE D ARTICHAUTS▲ En v là des gros, des bien beaux! ▼MARCHANDS DE TONNEAUX▲ Tonneaux, tonneaux, v la l marchand d tonneaux! ▼MARCHANDS DE BALAIS▲ Ach tez des balais, v la l marchand d balais; c est papa, qui les fait, c est maman qui les vend, c est moi qui mang l argent! ▼MARCHANDS DE POMMES DE TERRES▲ Pomm s terr , pomm s terr , oh les pomm s terre, au boisseau, trois sous l quart, c est d la holland ! ▼MARCHANDS DE POIS VERTS▲ Pois verts, pois verts, dix sous l boisseau! ▼JULIEN▲ (avec enthousiasme) Ah! chanson de Paris, où vibre et palpite mon âme! ▼MARCHANDS ET MARCHANDES▲ (lointain) Pois verts! pois verts! ▼JULIEN▲ Naïf et vieux refrain du faubourg qui s éveille, aube sonore qui réjouit mon oreille! Cris de Paris… voix de la rue Êtes-vous le chant de victoire de notre amour triomphant?… (Des ouvrières paraissent au fond. Julien se cache sous le hangar, épiant, anxieux) Scène Cinquième ▼BLANCHE▲ Bonjour! ▼MARGUERITE▲ Bonjour! ▼BLANCHE▲ Comment vas-tu? (Elles disparaissent à l entrée de la maison. Une autre paraît faisant un geste à une quatrième qui s avance) ▼SUZANNE▲ Nous sommes en avance? ▼GERTRUDE▲ Il est huit heures… ▼SUZANNE▲ Ah! (Elles entrent dans la maison. Deux autres s avancent en caquetant) ▼IRMA▲ Eh! bien, tu t es amusée, hier? ▼CAMILLE▲ Ah! c que j ai ri! ▼IRMA▲ Tu sais… le grand Léon… (elle lui parle à l oreille) ▼CAMILLE▲ Vrai? ▼IRMA▲ En mariage, ma chère! (elles disparaissent) ▼JULIEN▲ Viendra-t-elle? (impatient, il sort de sa cachette; trois ouvrières entrent et le regardent gesticuler) ▼L APPRENTIE▲ (riant) Ah! ah! ah! ah! ah! ah! ▼ÉLISE▲ Qu il est beau! ▼MADELEINE▲ Eh! l artiste! ▼L APPRENTIE▲ Il attend sa belle! ▼MADELEINE, MARGUERITE▲ Ah! ah! ah! ah! ah! ah! ▼L APPRENTIE, MADELEINE, MARGUERITE▲ C te tête! (Elles s enfuient en riant. Julien les regarde entrer dans la maison, il reste pensif, puis il va vers la rue. Julien, apercevant enfin Louise et sa mère, manifeste sa joie; il revient en courant, va se cacher dans le hangar et guette. Étonné de ne pas les voir, il regarde; il les aperçoit et se dissimule vivement) Scène Sixième (La mère et Louise entrent; elles s avancent lentement; elles s arrêtent) ▼LA MÈRE▲ (bougonnant) Pourquoi te retourner? Il nous suit, sans doute… suffit! Je d mand rai à ton père que dorénavant tu travailles chez nous. (Louise lève les yeux au ciel. Mimique de Julien qui, n y pouvant tenir, se montre à Louise) Ah! t as beau faire les gros yeux!… (Louise, voyant Julien, porte la main sur son coeur) On changera ta mauvaise tête, Il faudra bien que Louise reste une fille honnête!… Allons, au revoir! (Louise, froidement, lui tend la joue; la mère l embrasse avec tendresse. Louise entre dans la maison, la mère s éloigne lentement, surveille un instant les fenêtres de l atelier; arrivée près de la rue, elle guette de tous côtés, méfiante, puis disparaît. Julien se risque timidement, s enhardit, hésite, puis s élance dans la maison) ▼MARCHAND DE LA RUE▲ (lointain) V là d la carotte elle est bell ! V là d la carott ! d la carott ! d la carott ! Scène Septième (Julien reparaît, entraînant Louise) ▼LOUISE▲ (affolée, se débattant) Laissez-moi… ah! de grâce! (Julien l entraîne dans le hangar) ▼JULIEN▲ Alors, ils ont refusé? (Louise se débat et veut fuir) ▼LOUISE▲ Je vous en prie! si ma mère revenait… ▼JULIEN▲ Ils ont refusé? ▼LOUISE▲ Vous me faites mourir de peur! ▼JULIEN▲ Et tu supportes cette chose! tu ne te révoltes pas? ▼LOUISE▲ Que puis-je faire? ▼JULIEN▲ Tu le demandes! ▼LOUISE▲ Ils sont les maîtres! ▼JULIEN▲ Pourquoi, les maîtres? Parce qu ils t on fait naître, se croient-ils le droit d emprisonner ta jeunesse adorable? ▼LOUISE▲ Julien!… ▼JULIEN▲ D asservir ta vie! ▼LOUISE▲ (suppliante) Ah! par pitié! ▼JULIEN▲ De la murer pour leur plaisir! ▼LOUISE▲ Laissez-moi partir! ▼JULIEN▲ Ta volonté, désormais, est celle d une femme et vaut la leur tu es femme, tu peux, tu dois vouloir! ▼LOUISE▲ (ne sachant que répondre) Ah! je vais être en retard… (suppliante) laissez-moi partir. (Julien, fâché de son indifférence, la laisse partir. Elle fait quelques pas, puis revient, souriante, espiègle) ▼JULIEN▲ Tu ne m aimes plus! ▼LOUISE▲ (naïvement) Ce n est pas vrai! (Les cris de la rue reparaissent, lointains) ▼JULIEN▲ Si tu m aimais, oublierais-tu ta promesse? (Louise, troublée, se détourne) ▼UNE MARCHANDE DE LA RUE▲ (lointaine) V là du cresson d fontain , la santé du corps! ▼JULIEN▲ Écrivez encore à mon père, s il refuse votre demande je promets de fuir avec vous. ▼UNE MARCHANDE▲ (lointaine) Mouron pour les p tits oiseaux! ▼UN MARCHAND▲ (lointain) Pois verts! pois verts! ▼LOUISE▲ (presque parlé) Ah! si je pouvais… (flûte du chevrier) si mon père… ▼JULIEN▲ Ton père te pardonnerait! ▼LOUISE▲ Jamais! ▼JULIEN▲ Plus tard, quand ton bonheur… ▼LOUISE▲ Mon abandon le tuerait et je l aime mon père, autant que je t aime… ▼JULIEN▲ (la serrant dans ses bras) Ah!… ah! Louise, si tu m aimes, partons de suite au Pays (montrant la Butte ensoleillée) où vivent libres les Amants! Viens, je te choierai tant, et toute ta vie! (De la rue voisine viennent des cris et des rires) Viens vers la Joie, le Plaisir! (Entendant des rires, Louise, troublée, veut fuir, Julien la retient. Quatre ouvrières traversent la scène en riant et entrent dans la maison) ▼JULIEN▲ (plus pressant) Si tu m aimes, Louise, Viens, fuyons de suite, si tu m aimes, n attends pas plus longtemps! Tiens ta promesse dès maintenant, Louise! Louise! (il veut l entraîner) ▼LOUISE▲ (éperdue, se débattant) Julien! ▼JULIEN▲ Viens! ▼LOUISE▲ Ah! je deviens folle… ▼JULIEN▲ Vers le plaisir!… ▼LOUISE▲ (affolée) Je ne sais que faire… laissez-moi partir! Demain… plus tard… (avec tendresse) Je serai ta femme! Julien!. mon bien-aimé!… (Flûte lointaine du chevrier. Louise se jette à son cou, ils s embrassent; puis Louise se dégage et s éloigne vers la maison; sur le seuil de la porte, elle envoie un baiser. Julien répond avec tristesse. - Louise disparaît) Scène Huitième ▼UN MARCHAND D HABITS▲ (descendant l escalier) Marchand d habits!… Avez-vous des habits à vendr ? (il interroge les fenêtres) Marchand d habits!… (il se tourne de l autre côté) avez-vous des habits à vendr ? (Mélancoliquement il s éloigne. Julien, accablé, s achemine tristement vers la Ville) Marchand d habits!… Avez-vous des habits à vendr ? (Julien, sur le seuil de l escalier, près de la rue, fait un dernier geste de désespoir, descend lentement et disparaît. Le rideau tombe très lentement) ▼MARCHANDE DE MOURON▲ (Enfant. Très loin) Mouron pour les p tits oiseaux!… (flûte du chevrier) ▼MARCHANDE D ARTICHAUTS▲ (très lointaine) A la tendress (s éloignant) la verduress !… Interlude Deuxième Tableau (Rideau. Rire des ouvrières. Un atelier de couture; les ouvrières, autour des tables, travaillent en caquetant et chantant; quelques-unes bavardent; près du mannequin, deux ouvrières plissent une jupe; l apprentie, couchée à terre, ramasse les épingles; une ouvrière travaille à la machine. Louise, un peu séparée des autres, garde le silence. Durant les conversations, des ouvrières chantent) Scène Première (Première table côté jardin Irma, Camille, 4 coryphées; deuxième table Blanche, Madeleine, puis Élise et Suzanne, 2 coryphées; troisième table Louise, Gertrude, Marguerite; près du mannequin Suzanne, Élise; l apprentie, la première, la mécaniceienne; autres tables jeunes et vieilles ouvrières) La la la la la la la la ▼SUZANNE▲ (près du mannequin, faisant les plis d une jupe) C est énervant! je n peux pas y arriver… ▼L APPRENTIE▲ (accroupie devant la table; à Gertrude) Passez-moi vos ciseaux… ▼JEUNES OUVRIERES▲ La la la la la la la la ▼GERTRUDE▲ (Gertrude doit avoir les cheveux gris et jouer en vieille fille sentimentale et prétentieuse) Et les tiens? ▼ÉLISE▲ Quell mauvaise étoffe! ▼L APPRENTIE▲ perdus!… ▼ÉLISE▲ Les plis n marquent pas… ▼GERTRUDE▲ J en ai assez d les prêter. ▼L APPRENTIE▲ Un minute? (Élise prend la jupe, la montre à la première, puis va s asseoir à la deuxième table) ▼GERTRUDE▲ Tu n as qu à t en payer! (Elle se lève et va essayer un corsage sur le mannequin) ▼JEUNES OUVRIERES▲ La la la la la la la la ! ▼IRMA▲ Moi, j ai vu «l Pré aux Clércs et Mignon» (Blanche se lève et va causer à Marguerite) ▼CAMILLE▲ Moi, j ai vu Manon. ▼BLANCHE▲ (à Marguerite, à mi-voix) Voudrais-tu m montrer à baleiner? ▼IRMA▲ Cest beau? ▼CAMILLE▲ Très beau, surtout quand ell meurt. ▼JEUNES OUVRIERES▲ La la la la la la la la!… ▼GERTRUDE▲ (avec impatience) J peux pas arriver à finir c corsage! ▼MARGUERITE▲ (à Blanche) Tu prends ton ruban comm ceci… ▼GERTRUDE▲ Sur l mann quin, c est bien, mais sur la femme! ▼MARGUERITE▲ Tu commenc s par en bas, tu l fais sout nir très peu… ▼IRMA▲ C est pour qui? ▼JEUNES OUVRIERES▲ La la la la la la la!… ▼GERTRUDE▲ Pour la duchesse… ▼CAMILLE▲ (moqueuse) En effet, j vois ça d ici! (Élise va s asseoir près de Blanche à la deuxièmee table) ▼GERTRUDE▲ (riant) Faut lui mett du crin sous les bras… ▼CAMILLE▲ (riant) Faut lui fair des hanches… ▼IRMA▲ (riant) Un vrai rembourrage, quoi! ▼L APPRENTIE▲ (en gavroche) C qui y a des clientes, tout d même! (Rires) Ah! ah! ah! ah! ah!… (Blanche reprend sa place) ▼OUVRIERES, IRMA, CAMILLE▲ La la la la la!… ▼BLANCHE▲ (à Irma) Moi, j vais m faire une robe pour le Grand Prix… ▼LA PREMIERE▲ (à Louise) N oubliez pas le sachet d héliotrope?… ▼BLANCHE▲ J ai vu un modèl , ma chère (la dispute, bien en dehors) ▼ÉLISE▲ (à Suzanne qui lui donne des conseils) Ah! laiss -moi tranquille, tu m ennuies! ▼VIEILLES OUVRIERES▲ La la la la la la la la!… ▼SUZANNE▲ C est pas comm ça qu on s y prend… ▼ÉLISE▲ Tu veux toujours en savoir plus qu les autres! ▼SUZANNE▲ P tite imbécile! tu n vois pas qu ça craqu sous l aiguille? ▼ÉLISE▲ Oh! la! la! quel cauch mar! ▼SUZANNE▲ T en as un caractère! ▼ÉLISE▲ Tu n t es pas r gardée! ▼SUZANNE▲ Va donc hé! bouffie! ▼JEUNES ET VIEILLES OUVRIERES▲ La la la la la la la!… (Élise lance une pelote à la tête de Suzanne; les autres s interposent. Toutes rient avec éclats. La première se lève) ▼LA PREMIERE▲ Mesd moiselles, un peu d silence… nous n sommes pas au marché… (Silence relatif. La première va causer avec Gertrude. Geste de Louise, songeant à Julien) ▼CAMILLE▲ (bas à ses voisines) Voyez Louise, quell drôl de tête elle fait aujourd hui… ▼ÉLISE, SUZANNE▲ C est vrai! ▼IRMA▲ C est vrai! on dirait qu elle a pleuré. ▼GERTRUDE▲ Elle a peut-être des ennuis de famille… ▼CAMILLE▲ Ses parents sont très durs pour elle… (Les ouvrières se groupent et jettent des regards sur Louise qui semble ne rien voir) ▼IRMA▲ Ell n a pas la vie belle… ▼CAMILLE▲ Sa mèr la frappe encore… ▼BLANCHE, SUZANNE▲ (indignées) Ah! ▼ÉLISE▲ Ce n est pas moi qui me laisserais battre! ▼SUZANNE▲ Moi non plus! ▼BLANCHE▲ Et moi, c que j les plaqu rais! ▼L APPRENTIE▲ Moi, quand le pèr veut m battre, j lui dis cogn sur maman, (emphatique) y a plus d largeur! (rires. Louise baisse la tête, écoute, et reprend son attitude indifférente) ▼IRMA▲ (regardant ironiquement Louise) Non; je crois que Louise est amoureuse. ▼GERTRUDE▲ (étonnée) Amoureuse! Louise… (elle rit) ▼CAMILLE▲ Pourquoi Louise serait-ell pas amoureuse? ▼ÉLISE▲ Amoureuse, Louise… (elle hausse les épaules) ▼L APPRENTIE▲ (à part) Amoureuse! ▼SUZANNE, MADELEINE▲ Amoureuse! ▼GERTRUDE, MARGUERITE▲ Amoureuse! ▼BLANCHE, ÉLISE▲ Amoureuse! ▼IRMA, CAMILLE▲ Amoureuse! ▼BLANCHE, MARGUERITE, GERTRUDE, SUZANNE, MADELEINE, ÉLISE, IRMA, CAMILLE, BLANCHE▲ Louise, entends-tu? on dit que tu es amoureuse… ▼LOUISE▲ (troublée) Moi? ▼IRMA, CAMILLE▲ Est-ce vrai? ▼LOUISE▲ (avec colère) Vous êtes folles… ▼GERTRUDE▲ (reprend sa place près de Louise) Un amoureux à ton âge, ce n est pas un péché, et tu peux l avouer… A moins que tu ne veuilles garder le secret de tes aventures. (orgue de barbarie lointain) ▼ÉLISE, SUZANNE▲ Louise, raconte-nous… ▼LOUISE▲ (simplement) Je n ai pas d aventure. ▼GERTRUDE▲ (avec un lyrisme comique contenu) Que c est charmant une aventure! (Derrière elle, l apprentie, avec des gestes de gavroche, mime ironiquement les paroles sentimentales de la chanson de la vieille fille) Un garçon de jolie figure qui vous aime et vous le prouve à tout moment! C est le rêve d or des jeunes filles… rêve auquel on pense tout enfant. Pour le baiser d un jeune amant, (avec feu) je donnerais sans regret le restant de ma vie. (pâmée; orgue de barbarie lointain) ▼CAMILLE▲ (naivement) D où vient ce sentiment qui nous attire constamment vers les hommes? D où vient qu à leur approche nos coeurs chavirent? (pétulante) On a beau nous dire (avec mystère) «Prenez garde» Qu apparaisse le prédestiné, les scrupules s envolent. À son regard, on rougit; à sa parole, on sourit; dans l enthousiasme du baiser, on s ouvre au dieu malin; c est un bonnet de plus qu on accroche au moulin (Rires étouffés. Peu à peu les ouvrières reprennent leur travail et causent à voix basse) ▼L APPRENTIE▲ (agenouillée devant Louise) Louise, raconte-nous tes aventures… ▼LOUISE▲ (avec impatience) Je n ai pas d aventure. (Louise hausse les épaules; l apprentie, dépitée, s éloigne en rampant sous les tables. Élise va s asseoir auprès de Gertrude) ▼IRMA▲ (à ses voisines, langoureusement) Oh! moi quand je suis dans la rue, tout mon etre prend comme feu; ▼ÉLISE▲ (à Marguerite) C est un beau brun… ▼IRMA▲ Sous les rayons ardents ▼MARGUERITE▲ Tu l aimes? ▼IRMA▲ … des yeux qui me désirent, ▼ÉLISE▲ J en suis toquée ▼IRMA▲ Je vais radieuse! ▼MARGUERITE▲ Grande folle! (Élise reprend sa place; Suzanne va ``essayer au mannequin) ▼LA PREMIERE▲ (à Madeleine) Voyez la longueur des manches ▼IRMA▲ Les frôlements, les appels, ▼GERTRUDE▲ Dieu, qu il fait chaud! ouvrez la f nêtre… (l apprentie va ouvrir une fenêtre) ▼BLANCHE▲ (à Élise) C est tordant! ▼IRMA▲ … les flatteries… ▼SUZANNE▲ (à Madeleine) Tu viens avec moi, ce soir? ▼IRMA▲ … m attisent et me grisent! ▼ÉLISE▲ Louise, chante-nous quelque chose?… ▼LA PREMIERE▲ (à Marguerite) Laissez-la donc tranquille!… ▼IRMA▲ Il me semble… ▼L APPRENTIE▲ (à la mécanicienne) J ai rendez-vous à huit heures… ▼IRMA▲ … être en voyage… ▼ÉLISE▲ (à Blanche) Il t a fait la cour? ▼IRMA▲ … alors… ▼LA PREMIERE▲ A qui l corsage? ▼IRMA▲ … que paysages… ▼ÉLISE▲ C est à moi. ▼IRMA▲ … et maisons tourbillonnent… ▼LA PREMIERE▲ Dépêchez-vous, il le faut pour ce soir. ▼IRMA▲ …en ronde folle autour du wagon! ▼SUZANNE, BLANCHE, ÉLISE, MADELEINE▲ (riant bruyamment) ah! ah! ah! ah! ah!… ▼CAMILLE, GERTRUDE▲ Chut! (La première va dans la chambre voisine) ▼L APPRENTIE▲ Écoutez! ▼IRMA▲ (L apprentie, accroupie près d Irma, l écoute avec admiration) Une voix mystérieuse, prometteuse de bonheur, parmi les bruissements de la rue amoureuse, me poursuit et m enjôle… C est la voix de Paris! C est l appel au plaisir, à l amour! Et, peu à peu, l ivresse me gagne… dans un frisson délicieux, à tous les yeux, je livre mes yeux. Et mon coeur bat la campagne et succombe aux désirs de tous les coeurs. ▼LES JEUNES OUVRIERES▲ C est la voix de Paris… ▼LES VIEILLES OUVRIERES▲ Régalez-vous, mesdam s, voilà l plaisir! (fanfare dans la coulisse) ▼TOUTES▲ (diversement) Ah! la musique! Scène Seconde (Irma, Camille, Marguerite, Élise, Madeleine et l apprentie vont aux fenêtres et regardent curieusement dans la cour) ▼UNE VOIX▲ (dans la coulisse, en colère, semblant marquer la mesure) Un! ▼BLANCHE▲ (se levant et courant vers la fenêtre) Quell drôl de fanfare! ▼IRMA▲ Ils accompagn nt un chanteur… ▼CAMILLE▲ Il est bien, c lui-là. ▼SUZANNE▲ (pouffant) Tu trouves! ▼ÉLISE▲ (à Madeleine) On dirait l artist de tout à l heure! (Élise, Madeleine, l apprentie, croyant que Julien va chanter pour elles, se moquent de Camille qui le trouve à son goût; pendant la première partie de la sérénade, elles échangent des signes d intelligence, envoient des baisers au chanteur et semblent très excitées) ▼L APPRENTIE▲ Il nous r garde! ▼CAMILLE▲ Louise! viens voir… il est très bien. ▼L APPRENTIE▲ Très bien! (Louise semble ne pas entendre. Guitare dans la coulisse) ▼JULIEN▲ (dans la coulisse) Dans la cité lointaine, Au bleu pays d espoir, Je sais, loin de la peine, Un joyeux reposoir, Qui, pour fêter ma reine, Se fleurit chaque soir. ▼LES OUVRIERES▲ Quelle jolie voix! Quelle jolie voix! Ah ma chère, quelle jolie voix! ▼LOUISE▲ (à part) C est lui! c est Julien! (Camille vient prendre le bouquet qu Irma a laissé sur la table pour le jeter au chanteur. Irma veut l empêcher et la pousse. Suzanne se lève, tout en continuant à coudre, elle passe devant les tables, s arrête près de la fenêtre, écoute, ravie, pâmée) ▼JULIEN▲ Les fleurs du beau Domaine S avivent chaque soir; Mais l insensible reine Dédaigne leur espoir; (Ne daigne s émouvoir.) (comme en ritornelle) Quand viendras-tu, dis-moi, la belle, Au reposoir d ivresse éternelle? L Aube t appelle et te sourit, voici le jour!… Veux-tu que je te mène en ce riant séjour, A l amour! ▼LES OUVRIERES▲ Bravo, bravo, bravo, bravo, bravo, bravo, bravo! (fanfare des bohèmes dans la coulisse) ▼CAMILLE▲ (ravie) Il va chanter encore! ▼LOUISE▲ Quel supplice! Quel affreux tourment! ▼JULIEN▲ Jadis tu me contais un magique voyage «Tous deux, me disais-tu, dès notre mariage, libres, nous partirons au Pays adoré, loin de ce monde où nous avons pleuré» Voici le jour sacré de tenir ta promesse et l heure du départ, l heure d allégresse, l heure sonne et carillonne et chante à ton coeur les désirs de mon coeur!… Quand partons-nous, dis-moi, la belle, pour le pays d ivresse éternelle? ▼LES OUVRIERES▲ (mystérieusement) Quelle caresse! Aux accents de sa tendresse, mon coeur s abandonne… Quelle jolie voix! ah! ah! ah! Quelle ivresse! à ses accents mon coeur s abandonne… Quelle jolie voix! ah! ah! ah! Ah quel doux chant de tendresse… Quelle jolie voix! quelle jolie voix! ah! ah! Ah! Ah! quelle caresse! quel doux chant de tendresse! Ah! ah! mon coeur s abandonne! ▼CAMILLE▲ Comme il nous regarde! ▼IRMA▲ On dirait qu il s adresse à l une de nous… (Élise fait à Madeleine un geste d intelligence) ▼L APPRENTIE▲ C est vrai! ▼LOUISE▲ (à part) Pauvre Julien! ▼ÉLISE▲ Il n a pas l air content… ▼BLANCHE▲ Jetons-lui des sous! ▼CAMILLE▲ Et des baisers! (elles jettent des sous et envoient des baisers au chanteur) ▼LOUISE▲ (peut-être jalouse) Ah! j aurais dû partir tout à l heure (Julien gratte avec rage les cordes de sa guitare) ▼GERTRUDE▲ Qu est-c qu il a? ▼L APRENTIE▲ Il devient fou? (Rires. Louise se lève, frémissante, puis se rassied. A partir de ce moment, les ouvrières trouvant la chanson moins jolie, ennuyeuse même, échangent des gestes de lassitude, de moquerie. Élise et Madeleine, déçues dans leur espoir, raillent et sifflent impitoyablement le chanteur) ▼JULIEN▲ (avec émotion) Si ton âme, oubliant les serments d autrefois, S est détournée de moi; Si tes voeux sont de vivre sans lumière et sans joie… ▼GERTRUDE▲ Que chante-t-il? ▼ÉLISE▲ C est assommant! ▼JULIEN▲ … coeur infidèle… ▼MADELEINE▲ (riant) Ah! ah! ah!… ▼JULIEN▲ (avec emphase) … va plus loin battre de l aile ▼ÉLISE▲ (agacée) Ah! ▼CAMILLE▲ Il nous ennuie! ▼GERTRUDE▲ (geignant, avec ennuie) Ah! ▼JULIEN▲ Moi, le renonce à vivre car la vie est sans excuse quand l adorée, la seule aimée, à mes appels se refuse! ▼BLANCHE, MARGUERITE▲ Ah! ▼ÉLISE▲ Dieu, qu il m énerve! ▼SUZANNE, MADELEINE▲ Que chante-t-il? ▼IRMA, CAMILLE▲ A-t-il bientôt fini? ▼GERTRUDE▲ C est rasant! ▼BLANCHE, MARGUERITE▲ C est assommant! ▼LES OUVRIERES▲ (riant) Ah! ah! ah! ah! ah! ▼ÉLISE, SUZANNE, MADELEINE▲ (criant) Une autre! ▼L APPRENTIE▲ (criant) Une autre! ▼IRMA, CAMILLE, GERTRUDE▲ (criant) Une autre! BLANCHEs, MARGUERITE, ▼ÉLISE, SUZANNE, MADELEINE▲ (criant) Une autre! ▼TOUTES▲ (auf Louise) Une autre! (Durant cette dernière strophe, Louise se lève, frémissante. L apprentie, juchée sur une chaise, fait la manivelle avec le coin de son tablier roulé imitant comiquement le jouer d orgue) ▼JULIEN▲ Le temps passe et tu ne réponds pas… ▼ÉLISE▲ Ah! quel malheur! ▼JULIEN▲ Je ne sais plus que te dire!… ▼GERTRUDE▲ Pauvre petit! ▼JULIEN▲ Faut-il que tu m aies menti jadis!… ▼SUZANNE▲ Quel raseur! ▼L APPRENTIE▲ Oh! la! la! quell scie! ▼ÉLISE▲ Va chez l coiffeur! ▼JULIEN▲ Faut-il que tu m aies menti! ▼LES JEUNES OUVRIERES▲ (criant) Menti! ▼LES VIEILLES OUVRIERES▲ A-t-il bientôt fini? (L apprentie court ramasser des chiffons et les jette dans la cour) ▼JULIEN▲ Sois maudite! Fille sans coeur! Ame sans foi! ▼IRMA, CAMILLE▲ (riant) Ah! ah! ah!… ▼JULIEN▲ Assez! assez! (lui répondant par la fenêtre) Fille sans coeur! Ame sans foi! ▼GERTRUDE▲ (riant) Ah! ah! ah!… J en pleure! c est tordant! Quell scie! (criant) Ferme ça ▼BLANCHE, MARGUERITE▲ (riant) Ah! ah! ah! ah! ah! C te tête! quel type! Voyez-le donc… il est fou! il est fou! (criant) Music! ▼ÉLISE▲ (riant) Ah! ah! ah! ah! ah! Il est fou! il est saoûl! (Élise ramasse des chiffons et les jette dans le cour) A Charenton! quel cauch mar! oh! la, la! ▼SUZANNE▲ (riant) Ah! ah! ah! ah! ah! Il est saoûl! il est fou! Quel crampon! il est saoûl! il est saoûl! (criant) Music! ▼MADELEINE▲ (riant) Ah! ah! ah! ah! ah! Assez! quell scie! Quel crampon! il est saoûl! il est saoûl! (criant) Music! ▼L APPRENTIE▲ (criant, les mains en porte-voix) Ta bouche! Il est fou! (faisant des gestes à la fenêtre) Music! ▼LES JEUNES OUVRIERES▲ (ironiquement) Bravo! bravo! bravo! (imitant le chanteur) Fille sans coeur! Ame sans foi! ▼LES VIEILLES OUVRIERES▲ (criant) Assez! assez! assez! (cri plaintif) Ah! A-t-il bientôt fini! (Élise et Camille se rasseyent) ▼IRMA, CAMILLE, ÉLISE, L APPRENTIE, JEUNES OUVRIERES▲ (criant) Music! ▼TOUTES▲ (criant) Music! Music! Music! (Les musiciens de la cour obéissent et jouent. Charivari. Les ouvrières dansent et chahutent. Louise se lève. Son visage exprime l angoisse; elle hésite un moment, puis elle va prendre son chapeau et se dispose à sortir) ▼IRMA, CAMILLE, ÉLISE, SUZANNE▲ La la la la la la la la La la la la ▼LES AUTRES OUVRIERES▲ La la la la la la la La la la la ▼TOUTES▲ (rires) Ah! ah! ah! ah! ah!… ▼GERTRUDE▲ (s apercevant du trouble de Louise; à Louise) Louise, qu avez-vous? Êtes-vous souffrante? (d autres ouvrières s approchent) ▼L APPRENTIE▲ (regardant par la fenêtre) Il s en va! ▼LOUISE▲ (avec embarras) Oui… je ne suis pas bien… J étouffe… je suis tout étourdie… (Elle se lève, fiévreuse) Je ne puis rester! ▼CAMILLE▲ Tu veux partir? (Louise, indécise, semble écouter au loin) ▼LOUISE▲ (décidée) Oui, je préfèr rentrer chez nous. (à Gertrude) Vous direz à Madame que j ai dû m en aller… (Elle prend son chapeau et va vers la porte. Quelques ouvrières l entourent) ▼IRMA▲ (affectueusement) Louise, qu as-tu? (Louise, embarrassée, ne sait que répondre) ▼CAMILLE▲ (de même) Tu souffres? ▼IRMA▲ Veux-tu que je t accompagne? ▼LOUISE▲ Non, laissez-moi… (elle ouvre la porte; bas avec effort) Adieu! (Elle disparaît. La fanfare s éloigne. Les ouvrières, étonnées, se regardent) Scène Troisième ▼ÉLISE▲ Qu est-c qui lui prend? ▼CAMILLE▲ Qu est-c que ça veut dire? ▼IRMA▲ (prenant la défense de Louise) Elle était malade! ▼SUZANNE▲ (ironique) Comm vous et moi! ▼L APPRENTIE▲ (criant) C est la faute au chanteur! ▼ÉLISE, SUZANNE, MADELEINE▲ Voyons! ▼IRMA, BLANCHE, MARGUERITE▲ Voyons! (Elles se précipitent aux fenêtres) ▼CAMILLE▲ La voici! ▼GERTRUDE▲ (restée assise; criant) Eh bien! que fait-elle? ▼ÉLISE, SUZANNE▲ Parfait! ▼IRMA, CAMILLE▲ C est bien ça! (Les ouvrières restées assises, se lèvent et courent aux fenêtres) ▼TOUTES▲ (avec stupéfaction) Ah!… (Gertrude et la première joignent les mains avec épouvante) ▼L APPRENTIE▲ (avec transport, criant) Ils part nt en prom nade! (Elle se roule à terre) ▼TOUTES▲ (riant aux éclats) Ah! ah! ah! (Rideau vivement) ACTE II Premier TableauLa scène représente un carrefour au bas de la butte Montmartre. À gauche, au fond de la scène, un escalier descendant; plus à gauche, une ruelle puis un hangar; à droite, une maison et un cabaret; au fond, à droite, un escalier montant, plus à droite une ruelle; au loin, à droite, la Butte; à gauche le faubourg Scène PremièreAu lever du rideau, sous le hangar, une laitière prépare son étalage et allume son feu; près d elle, sur une table à la terrasse d un marchand de vin, une fillette 17 ans plie les journaux du matin. A droite, près d une poubelle renversée, une petite chiffonnière travaille hâtivement; à côté d elle une glaneuse de charbon et, plus loin, un bricoleur fouillent les ordures. Des ménagères vont aux provisions. Cinq heures du matin, en avril. Un léger brouillard enveloppe la ville LA PETITE CHIFFONNIÈREà la glaneuse Dir qu en c moment y a des femmes qui dorment dans de la soie! LA GLANEUSE DE CHARBON Bah! les draps de soie s usent plus vite que les autres. LA PETITE CHIFFONNIÈRE Oui, parce qu on y dort plus longtemps! LA GLANEUSE Grande bête! ton tour viendra…Un noctambule paraît LA PETITE CHIFFONNIÈRE Mon tour? si c était vrai!Le noctambule s approche de la plieuse LE NOCTAMBULE Si jolie, si matin…il tourne autour de la fillette Malice du destin, qui revêt de satin et de robes d aurore les guetteuses de nuit aux rides inclémentes et cache au libertin, sous des voiles de nuit les fillettes d aurore que le désir tourmente.à la plieuse Un baiser? LA PLIEUSE Passez vot chemin! LE NOCTAMBULEriant Mon chemin, je le cherche… me tendras-tu la perche?avec afféterie Sans les lanternes de tes jolis yeux, je risque fort de me perdre! tu veux?…La fillette lui tourne le dos LA GLANEUSEs étirant Ah! LE BRICOLEURgeignant Ah! LE NOCTAMBULEregardant autour de lui En ce froid carrefour où gémit la souffrance, je me sens mal à l aise,à la fillette et sans ta jeune chair il me semblerait choir au seuil du sombre enfer où le Dante écrivit Ici point d espérance! Le son de ma voix éveille-t-il en toi une vague souvenance… que tu restes songeuse?… ou bien un frais désir fait-il bondir ton coeur d amoureuse? LA PLIEUSEriant Vous êtes fou! LA LAITIÈREriant Sa folie n est pas dangereuse!…le noctambule fait une pirouette Qui êtes-vous ? LE NOCTAMBULErejetant son manteau sur l épaule et apparaissant séduisant, tout à fait joli dans un costume de printemps auquel sont piqués quelques grelots de folie Je suis le Plaisir de Paris!Les deux femmes font un geste d étonnement admiratif. La petite chiffonnière, la glaneuse, le bricoleur interrompent leur travail et s approchent. D autres figures de souffrance, sorties de l ombre, se groupent derrière eux. Le noctambule pirouette de nouveau LA LAITIÈRE Où allez-vous? LE NOCTAMBULE Je vais vers les Amantes que le Désir tourmente! Je vais cherchant les coeurs qu oublia le bonheur.montrant la ville Là-bas glanant le Rire, ici semant l Envie, prêchant partout le droit de tous à la folie Je suis le Procureur de la grande Cité! Ton humble serviteur… ou ton maître! LA LAITIÈREle menaçant de son balai Effronté!Il s enfuit en riant LE NOCTAMBULE Ha! ha! ha! ha! ha! ha! ha! ha!Au coin de la rue, il heurte violemment le chiffonnier et disparaît LE CHIFFONNIER Hé! fait attention! butor!le chiffonnier chancelle et tombe LE NOCTAMBULEdéjà loin Je suis le Procureur de la grande Cité!Le bricoleur s avance vers le chiffonnier; il le débarrasse de sa hotte, puis le relève LE CHIFFONNIERà part Ah!… je le connais… le misérable! ce n est pas la première fois qu il se trouve sur mon chemin!au bricoleur Un soir, il y a longtemps, je m en souviens comme si c était hier… ici, au même endroit, il m est apparu…La plieuse fait un paquet de ses journaux et s en va hélas! il n était pas seul ce jour-là… une fillette lui donnait la main et souriait à sa chanson… c était ma fille!dramatique Je l avais laissée là, au travail… il est venu, il lui a soufflé à l oreille ses tentations mauvaises…douloureux et la coquette l a écouté… ell l a suivi… en s enfuyant, ell m a heurté… comme aujourd hui… je suis tombé! Ah! ah! ah! ah!Il sanglote et se met au travail LA GLANEUSE, LA CHIFFONIERE Pauvre homme! LE BRICOLEUR Bah! dans toutes les familles, c est la même chose! Moi, j en avais trois, je n ai pu les tenir! Faut pas leur en vouloir si elles préfèr à notre vie d enfer le paradis qui les appelle là-bas… LA PETITE CHIFFONNIÈREà part Est-c que les bons lits, les belles robes, comme le soleil,elle tend les bras vers le soleil dont les premiers rayons éclairent la Butte ne devraient pas être à tout le monde! Scène SecondeDeux gardiens de la paix traversent lentement la scène et s approchent de la laitière. Le carrefour s anime. Une balayeuse apparaît au fond et s avance vers le groupe PREMIER GARDIENà la laitière Belle journée! LA LAITIÈRE Voici le printemps. PREMIER GARDIEN La saison des amours… LA LAITIÈRE Pour ceux qui ont vingt ans! DEUXIÈME GARDIEN Bah! chacun son tour… LA LAITIÈRE J attends encore le mien! PREMIER GARDIEN Vous n avez jamais aimé?Un gavroche s approche de l éventaire et se chauffe les mains au fourneau LA LAITIÈREsimplement Je n ai pas eu le temps!Les gardiens rient LA GAVROCHEà la laitière Un p tit noir? LA BALAYEUSEfanfaronne Moi, j ai eu ch vaux et voitures… Y a vingt anstriomphante j étais la reine de Paris!comique quell dégringolade! hein? mais je ne regrette rien… je me suis tant amusée…sentimentale Ah! la belle vie! le joyeux, le tendre, l inoubliable paradis!Le gavroche, qui l a écoutée, hausse les épaules, puis s approche d elle, la tire par la manche LE GAVROCHEavec une naïveté feinte Dites donnez-moi l adresse… LA BALAYEUSE Quelle adresse? LE GAVROCHEgoguenard L adresse… de vot paradis! LA BALAYEUSE Mais, mon petit,montrant la ville, tendre c est Paris! LE GAVROCHEjouant l étonnement Paris…il regarde la ville c est étonnant! depuis que j suis au monde j m en étais pas encore aperçu! PREMIER GARDIENbourru Allons, circule! LE GAVROCHEnarquois, froidement De quoi… on n peut pas s instruire?… PREMIER GARDIENbrutal Va travailler!Il le pousse. Le gavroche immobile, toise le gardien, puis d une pirouette nonchalante il lui tourne le dos et s en va lentement arrivé au coin de la rue, il se retourne LE GAVROCHEcriant, ses mains en porte-voix Y en a donc que pour les femm s, dans vot paradis!geste menaçant des gardiens; le gamin s enfuit; les gardiens s éloignent du même côté. La petite chiffonnière s en va d un autre côté, courbée sous le poids d un sac de chiffons. La balayeuse reprend son travail et disparaît dans la rue voisine. La glaneuse s approche de la laitière LA PETITE CHIFFONNIÈREavec amertume Y en a qu pour les femmes!…Le chiffonnier et le bricoleur montent l escalier. Julien paraît au fond de la scène; il fait un geste à ses amis Scène TroisièmeLes bohèmes paraissent en haut de l escalier et s avancent, comiquement, avec des allures de conspirateurs LE PEINTREà Julien C est ici? LE SCULPTEUR C est là qu elle travaille?la glaneuse s éloigne JULIENindiquant la maison Sa mère l accompagnera jusqu à cette porte… sitôt disparue, je m élance… je rattrape Louise…rageusement et, si ses parents refusent… LE PEINTRE Tu l enlèves!Julien approuve TOUSentourant Julien Bravo! bravo! bravo! LE CHANSONNIER Mais, consentira-t-elle? JULIEN Je la déciderai!Ils se répandent sur la place à droite, le sculpteur, le peintre et le jeune poète; à gauche, Julien, l étudiant, les philosophes et le chansonnier. Les autres inspectent silencieusement les alentours LE PEINTREà Julien Nous en ferons notre Muse! LE SCULPTEURau poète Le coin est joli… LE CHANSONNIERà Julien Muse des Bohèmes! LE PEINTREau sculpteur Un vrai carrefour à sérénades… PREMIER PHILOSOPHEavec dédain Une muse? LE SCULPTEURau peintre Nous aurions dû prendre nos instruments… LE CHANSONNIERau philosophe On la couronnera!Des têtes de bonnes paraissent aux fenêtres de la maison LE SCULPTEUR Nous reviendrons. PREMIER PHILOSOPHE Les Muses sont mortes! LE CHANSONNIERenthousiaste On les ressuscitera! LE PEINTRElorgnant les fenêtres Les jolies filles! LE SCULPTEUR Mesdemoiselles? LE CHANSONNIER Elles sont charmantes! LE JEUNE POETE Ravissantes!D autres têtes paraissent à d autres fenêtres. Les bohèmes envoient des baisers et saluent; d autres font les clowns. Le chansonnier, grattant sa canne ainsi qu une guitare, se met en évidence. À l écart dissertent les philosophes LE CHANSONNIER Enfants de la bohème, Nous aimons qui nous aime! Toujours gais et pimpants, Les femm s nous trouvent séduisants… DEUXIEME PHILOSOPHEà l autre Pourquoi refuseraient-ils? LE CHANSONNIER Quoiqu sans argents! PREMIER PHILOSOPHE Ils préfèrent sans doute en faire la femme d un bourgeois! LE CHANSONNIER Presqu indigents! DEUXIEME PHILOSOPHEironique Mais, les ouvriers méprisent les bourgeois! PREMIER PHILOSOPHE Ah! ah! tu crois ça! LE CHANSONNIER Mais nous somm s très intelligents!Cris et bravos; des fenêtres on jette des sous. Les bohèmes saluent ironiquement LE PEINTREsaluant Aimez-vous la peinture? LE SCULPTEURde même La sculpture? LE CHANSONNIERde même La musique? LE JEUNE POETE Je suis un grand poète! PREMIER PHILOSOPHE Mon cher, l idéal des ouvriers c est d être des bourgeois.tous approuvent le désir des bourgeois être des grands seigneurs…nouvelle approbation plus nourrie. Ironique et le rêve des grands seigneurs attention générale ironique. Emphatique devenir des artistes!rires LE PEINTRE Et le rêve des artistes! PREMIER PHILOSOPHEavec emphase Être des dieux! TOUS Bravo! LES BOHÈMES Oui, des dieux! L APPRENTItraversant la scène, passant dans le fond Allez donc travailler, tas d feignants!Les bohèmes esquissent une poursuite, puis ils descendent l escalier en chantant. Le philosophe, le chansonnier, le peintre et l étudiant vont dire adieu à Julien LES BOHÈMES Enfants de la bohème, Nous aimons qui nous aime. Toujours gais et pimpants, les femm s nous trouvent séduisants… JULIENà ses amis, fiévreusement Voici l heure, laissez-moi. LES BOHÈMES Quoiqu sans argents! LE PREMIER PHILOSOPHEà Julien Allons, bonne chance… LE CHANSONNIERl excitant Enlève la redoute!… LES BOHÈMESdéjà loin Presqu indigents! LE PEINTREavec mystère Sois éloquent! L ETUDIANTdonnant une accolade à Julien A tout à l heure…ils s éloignent LES BOHÈMEStrès loin Mais nous somm s très intelligents!cris lointains des bohèmes Scène Quatrième JULIENdans une agitation douloureuse Elle va paraître, ma joie, mon tourment, ma vie! Voudra-t-elle me suivre? Voudra-t-elle qu aujourd hui notre amour soit vainqueur! Que dois-je lui dire? Comment la décider?avec angoisse Qui viendrait à mon aide?… LA REMPAILLEUSElointaine La caneus , racc modeus de chais s!…Julien fait un geste de surprise MARCHAND DE CHIFFONSlointain Marchand d chiffons, ferraille à vendr !…Il écoute avec émoi croissant; les chants qui se rapprochent LA REMPAILLEUSEplus près la caneus , racc modeus de chais s!… LA MARCHANDE D ARTICHAUTSlointaine artichauts, des gros artichauts! LE MARCHAND DE CAROTTES v là d la carott , elle est bell , v là d la carott ! d la carott ! LA MARCHANDE D ARTICHAUTS A la tendress , la verduress ! LE MARCHAND DE CAROTTEStrès loin D la carott ! LA MARCHANDE DE MOURONprès de la scène Mouron pour les p tits oiseaux! LA MARCHANDE D ARTICHAUTSse rapprochant Et à un sou, vert et tendre, et à un sou!flûte du chevrier lointain LA MARCHANDE DE MOURONprès de la scène Mouron pour les p tits oiseaux! LA MARCHANDE D ARTICHAUTS En v là des gros, des bien beaux! MARCHANDS DE TONNEAUX Tonneaux, tonneaux, v la l marchand d tonneaux! MARCHANDS DE BALAIS Ach tez des balais, v la l marchand d balais; c est papa, qui les fait, c est maman qui les vend, c est moi qui mang l argent! MARCHANDS DE POMMES DE TERRES Pomm s terr , pomm s terr , oh les pomm s terre, au boisseau, trois sous l quart, c est d la holland ! MARCHANDS DE POIS VERTS Pois verts, pois verts, dix sous l boisseau! JULIENavec enthousiasme Ah! chanson de Paris, où vibre et palpite mon âme! MARCHANDS ET MARCHANDESlointain Pois verts! pois verts! JULIEN Naïf et vieux refrain du faubourg qui s éveille, aube sonore qui réjouit mon oreille! Cris de Paris… voix de la rue Êtes-vous le chant de victoire de notre amour triomphant?…Des ouvrières paraissent au fond. Julien se cache sous le hangar, épiant, anxieux Scène Cinquième BLANCHE Bonjour! MARGUERITE Bonjour! BLANCHE Comment vas-tu?Elles disparaissent à l entrée de la maison. Une autre paraît faisant un geste à une quatrième qui s avance SUZANNE Nous sommes en avance? GERTRUDE Il est huit heures… SUZANNE Ah!Elles entrent dans la maison. Deux autres s avancent en caquetant IRMA Eh! bien, tu t es amusée, hier? CAMILLE Ah! c que j ai ri! IRMA Tu sais… le grand Léon…elle lui parle à l oreille CAMILLE Vrai? IRMA En mariage, ma chère!elles disparaissent JULIEN Viendra-t-elle?impatient, il sort de sa cachette; trois ouvrières entrent et le regardent gesticuler L APPRENTIEriant Ah! ah! ah! ah! ah! ah! ÉLISE Qu il est beau! MADELEINE Eh! l artiste! L APPRENTIE Il attend sa belle! MADELEINE, MARGUERITE Ah! ah! ah! ah! ah! ah! L APPRENTIE, MADELEINE, MARGUERITE C te tête!Elles s enfuient en riant. Julien les regarde entrer dans la maison, il reste pensif, puis il va vers la rue. Julien, apercevant enfin Louise et sa mère, manifeste sa joie; il revient en courant, va se cacher dans le hangar et guette. Étonné de ne pas les voir, il regarde; il les aperçoit et se dissimule vivement Scène SixièmeLa mère et Louise entrent; elles s avancent lentement; elles s arrêtent LA MÈREbougonnant Pourquoi te retourner? Il nous suit, sans doute… suffit! Je d mand rai à ton père que dorénavant tu travailles chez nous.Louise lève les yeux au ciel. Mimique de Julien qui, n y pouvant tenir, se montre à Louise Ah! t as beau faire les gros yeux!…Louise, voyant Julien, porte la main sur son coeur On changera ta mauvaise tête, Il faudra bien que Louise reste une fille honnête!… Allons, au revoir!Louise, froidement, lui tend la joue; la mère l embrasse avec tendresse. Louise entre dans la maison, la mère s éloigne lentement, surveille un instant les fenêtres de l atelier; arrivée près de la rue, elle guette de tous côtés, méfiante, puis disparaît. Julien se risque timidement, s enhardit, hésite, puis s élance dans la maison MARCHAND DE LA RUElointain V là d la carotte elle est bell ! V là d la carott ! d la carott ! d la carott ! Scène SeptièmeJulien reparaît, entraînant Louise LOUISEaffolée, se débattant Laissez-moi… ah! de grâce!Julien l entraîne dans le hangar JULIEN Alors, ils ont refusé?Louise se débat et veut fuir LOUISE Je vous en prie! si ma mère revenait… JULIEN Ils ont refusé? LOUISE Vous me faites mourir de peur! JULIEN Et tu supportes cette chose! tu ne te révoltes pas? LOUISE Que puis-je faire? JULIEN Tu le demandes! LOUISE Ils sont les maîtres! JULIEN Pourquoi, les maîtres? Parce qu ils t on fait naître, se croient-ils le droit d emprisonner ta jeunesse adorable? LOUISE Julien!… JULIEN D asservir ta vie! LOUISEsuppliante Ah! par pitié! JULIEN De la murer pour leur plaisir! LOUISE Laissez-moi partir! JULIEN Ta volonté, désormais, est celle d une femme et vaut la leur tu es femme, tu peux, tu dois vouloir! LOUISEne sachant que répondre Ah! je vais être en retard…suppliante laissez-moi partir.Julien, fâché de son indifférence, la laisse partir. Elle fait quelques pas, puis revient, souriante, espiègle JULIEN Tu ne m aimes plus! LOUISEnaïvement Ce n est pas vrai!Les cris de la rue reparaissent, lointains JULIEN Si tu m aimais, oublierais-tu ta promesse?Louise, troublée, se détourne UNE MARCHANDE DE LA RUElointaine V là du cresson d fontain , la santé du corps! JULIEN Écrivez encore à mon père, s il refuse votre demande je promets de fuir avec vous. UNE MARCHANDElointaine Mouron pour les p tits oiseaux! UN MARCHANDlointain Pois verts! pois verts! LOUISEpresque parlé Ah! si je pouvais…flûte du chevrier si mon père… JULIEN Ton père te pardonnerait! LOUISE Jamais! JULIEN Plus tard, quand ton bonheur… LOUISE Mon abandon le tuerait et je l aime mon père, autant que je t aime… JULIENla serrant dans ses bras Ah!… ah! Louise, si tu m aimes, partons de suite au Paysmontrant la Butte ensoleillée où vivent libres les Amants! Viens, je te choierai tant, et toute ta vie!De la rue voisine viennent des cris et des rires Viens vers la Joie, le Plaisir!Entendant des rires, Louise, troublée, veut fuir, Julien la retient. Quatre ouvrières traversent la scène en riant et entrent dans la maison JULIENplus pressant Si tu m aimes, Louise, Viens, fuyons de suite, si tu m aimes, n attends pas plus longtemps! Tiens ta promesse dès maintenant, Louise! Louise!il veut l entraîner LOUISEéperdue, se débattant Julien! JULIEN Viens! LOUISE Ah! je deviens folle… JULIEN Vers le plaisir!… LOUISEaffolée Je ne sais que faire… laissez-moi partir! Demain… plus tard…avec tendresse Je serai ta femme! Julien!. mon bien-aimé!…Flûte lointaine du chevrier. Louise se jette à son cou, ils s embrassent; puis Louise se dégage et s éloigne vers la maison; sur le seuil de la porte, elle envoie un baiser. Julien répond avec tristesse. - Louise disparaît Scène Huitième UN MARCHAND D HABITSdescendant l escalier Marchand d habits!… Avez-vous des habits à vendr ?il interroge les fenêtres Marchand d habits!…il se tourne de l autre côté avez-vous des habits à vendr ?Mélancoliquement il s éloigne. Julien, accablé, s achemine tristement vers la Ville Marchand d habits!… Avez-vous des habits à vendr ?Julien, sur le seuil de l escalier, près de la rue, fait un dernier geste de désespoir, descend lentement et disparaît. Le rideau tombe très lentement MARCHANDE DE MOURONEnfant. Très loin Mouron pour les p tits oiseaux!…flûte du chevrier MARCHANDE D ARTICHAUTStrès lointaine A la tendress s éloignant la verduress !… Interlude Deuxième TableauRideau. Rire des ouvrières. Un atelier de couture; les ouvrières, autour des tables, travaillent en caquetant et chantant; quelques-unes bavardent; près du mannequin, deux ouvrières plissent une jupe; l apprentie, couchée à terre, ramasse les épingles; une ouvrière travaille à la machine. Louise, un peu séparée des autres, garde le silence. Durant les conversations, des ouvrières chantent Scène PremièrePremière table côté jardin Irma, Camille, 4 coryphées; deuxième table Blanche, Madeleine, puis Élise et Suzanne, 2 coryphées; troisième table Louise, Gertrude, Marguerite; près du mannequin Suzanne, Élise; l apprentie, la première, la mécaniceienne; autres tables jeunes et vieilles ouvrières La la la la la la la la SUZANNEprès du mannequin, faisant les plis d une jupe C est énervant! je n peux pas y arriver… L APPRENTIEaccroupie devant la table; à Gertrude Passez-moi vos ciseaux… JEUNES OUVRIERES La la la la la la la la GERTRUDEGertrude doit avoir les cheveux gris et jouer en vieille fille sentimentale et prétentieuse Et les tiens? ÉLISE Quell mauvaise étoffe! L APPRENTIE perdus!… ÉLISE Les plis n marquent pas… GERTRUDE J en ai assez d les prêter. L APPRENTIE Un minute?Élise prend la jupe, la montre à la première, puis va s asseoir à la deuxième table GERTRUDE Tu n as qu à t en payer!Elle se lève et va essayer un corsage sur le mannequin JEUNES OUVRIERES La la la la la la la la ! IRMA Moi, j ai vu «l Pré aux Clércs et Mignon»Blanche se lève et va causer à Marguerite CAMILLE Moi, j ai vu Manon. BLANCHEà Marguerite, à mi-voix Voudrais-tu m montrer à baleiner? IRMA Cest beau? CAMILLE Très beau, surtout quand ell meurt. JEUNES OUVRIERES La la la la la la la la!… GERTRUDEavec impatience J peux pas arriver à finir c corsage! MARGUERITEà Blanche Tu prends ton ruban comm ceci… GERTRUDE Sur l mann quin, c est bien, mais sur la femme! MARGUERITE Tu commenc s par en bas, tu l fais sout nir très peu… IRMA C est pour qui? JEUNES OUVRIERES La la la la la la la!… GERTRUDE Pour la duchesse… CAMILLEmoqueuse En effet, j vois ça d ici!Élise va s asseoir près de Blanche à la deuxièmee table GERTRUDEriant Faut lui mett du crin sous les bras… CAMILLEriant Faut lui fair des hanches… IRMAriant Un vrai rembourrage, quoi! L APPRENTIEen gavroche C qui y a des clientes, tout d même!Rires Ah! ah! ah! ah! ah!…Blanche reprend sa place OUVRIERES, IRMA, CAMILLE La la la la la!… BLANCHEà Irma Moi, j vais m faire une robe pour le Grand Prix… LA PREMIEREà Louise N oubliez pas le sachet d héliotrope?… BLANCHE J ai vu un modèl , ma chèrela dispute, bien en dehors ÉLISEà Suzanne qui lui donne des conseils Ah! laiss -moi tranquille, tu m ennuies! VIEILLES OUVRIERES La la la la la la la la!… SUZANNE C est pas comm ça qu on s y prend… ÉLISE Tu veux toujours en savoir plus qu les autres! SUZANNE P tite imbécile! tu n vois pas qu ça craqu sous l aiguille? ÉLISE Oh! la! la! quel cauch mar! SUZANNE T en as un caractère! ÉLISE Tu n t es pas r gardée! SUZANNE Va donc hé! bouffie! JEUNES ET VIEILLES OUVRIERES La la la la la la la!…Élise lance une pelote à la tête de Suzanne; les autres s interposent. Toutes rient avec éclats. La première se lève LA PREMIERE Mesd moiselles, un peu d silence… nous n sommes pas au marché…Silence relatif. La première va causer avec Gertrude. Geste de Louise, songeant à Julien CAMILLEbas à ses voisines Voyez Louise, quell drôl de tête elle fait aujourd hui… ÉLISE, SUZANNE C est vrai! IRMA C est vrai! on dirait qu elle a pleuré. GERTRUDE Elle a peut-être des ennuis de famille… CAMILLE Ses parents sont très durs pour elle…Les ouvrières se groupent et jettent des regards sur Louise qui semble ne rien voir IRMA Ell n a pas la vie belle… CAMILLE Sa mèr la frappe encore… BLANCHE, SUZANNEindignées Ah! ÉLISE Ce n est pas moi qui me laisserais battre! SUZANNE Moi non plus! BLANCHE Et moi, c que j les plaqu rais! L APPRENTIE Moi, quand le pèr veut m battre, j lui dis cogn sur maman,emphatique y a plus d largeur!rires. Louise baisse la tête, écoute, et reprend son attitude indifférente IRMAregardant ironiquement Louise Non; je crois que Louise est amoureuse. GERTRUDEétonnée Amoureuse! Louise…elle rit CAMILLE Pourquoi Louise serait-ell pas amoureuse? ÉLISE Amoureuse, Louise…elle hausse les épaules L APPRENTIEà part Amoureuse! SUZANNE, MADELEINE Amoureuse! GERTRUDE, MARGUERITE Amoureuse! BLANCHE, ÉLISE Amoureuse! IRMA, CAMILLE Amoureuse! BLANCHE, MARGUERITE, GERTRUDE, SUZANNE, MADELEINE, ÉLISE, IRMA, CAMILLE, BLANCHE Louise, entends-tu? on dit que tu es amoureuse… LOUISEtroublée Moi? IRMA, CAMILLE Est-ce vrai? LOUISEavec colère Vous êtes folles… GERTRUDEreprend sa place près de Louise Un amoureux à ton âge, ce n est pas un péché, et tu peux l avouer… A moins que tu ne veuilles garder le secret de tes aventures.orgue de barbarie lointain ÉLISE, SUZANNE Louise, raconte-nous… LOUISEsimplement Je n ai pas d aventure. GERTRUDEavec un lyrisme comique contenu Que c est charmant une aventure!Derrière elle, l apprentie, avec des gestes de gavroche, mime ironiquement les paroles sentimentales de la chanson de la vieille fille Un garçon de jolie figure qui vous aime et vous le prouve à tout moment! C est le rêve d or des jeunes filles… rêve auquel on pense tout enfant. Pour le baiser d un jeune amant,avec feu je donnerais sans regret le restant de ma vie.pâmée; orgue de barbarie lointain CAMILLEnaivement D où vient ce sentiment qui nous attire constamment vers les hommes? D où vient qu à leur approche nos coeurs chavirent?pétulante On a beau nous dire avec mystère «Prenez garde» Qu apparaisse le prédestiné, les scrupules s envolent. À son regard, on rougit; à sa parole, on sourit; dans l enthousiasme du baiser, on s ouvre au dieu malin; c est un bonnet de plus qu on accroche au moulinRires étouffés. Peu à peu les ouvrières reprennent leur travail et causent à voix basse L APPRENTIEagenouillée devant Louise Louise, raconte-nous tes aventures… LOUISEavec impatience Je n ai pas d aventure.Louise hausse les épaules; l apprentie, dépitée, s éloigne en rampant sous les tables. Élise va s asseoir auprès de Gertrude IRMAà ses voisines, langoureusement Oh! moi quand je suis dans la rue, tout mon etre prend comme feu; ÉLISEà Marguerite C est un beau brun… IRMA Sous les rayons ardents MARGUERITE Tu l aimes? IRMA … des yeux qui me désirent, ÉLISE J en suis toquée IRMA Je vais radieuse! MARGUERITE Grande folle!Élise reprend sa place; Suzanne va ``essayer au mannequin LA PREMIEREà Madeleine Voyez la longueur des manches IRMA Les frôlements, les appels, GERTRUDE Dieu, qu il fait chaud! ouvrez la f nêtre…l apprentie va ouvrir une fenêtre BLANCHEà Élise C est tordant! IRMA … les flatteries… SUZANNEà Madeleine Tu viens avec moi, ce soir? IRMA … m attisent et me grisent! ÉLISE Louise, chante-nous quelque chose?… LA PREMIEREà Marguerite Laissez-la donc tranquille!… IRMA Il me semble… L APPRENTIEà la mécanicienne J ai rendez-vous à huit heures… IRMA … être en voyage… ÉLISEà Blanche Il t a fait la cour? IRMA … alors… LA PREMIERE A qui l corsage? IRMA … que paysages… ÉLISE C est à moi. IRMA … et maisons tourbillonnent… LA PREMIERE Dépêchez-vous, il le faut pour ce soir. IRMA …en ronde folle autour du wagon! SUZANNE, BLANCHE, ÉLISE, MADELEINEriant bruyamment ah! ah! ah! ah! ah!… CAMILLE, GERTRUDE Chut!La première va dans la chambre voisine L APPRENTIE Écoutez! IRMAL apprentie, accroupie près d Irma, l écoute avec admiration Une voix mystérieuse, prometteuse de bonheur, parmi les bruissements de la rue amoureuse, me poursuit et m enjôle… C est la voix de Paris! C est l appel au plaisir, à l amour! Et, peu à peu, l ivresse me gagne… dans un frisson délicieux, à tous les yeux, je livre mes yeux. Et mon coeur bat la campagne et succombe aux désirs de tous les coeurs. LES JEUNES OUVRIERES C est la voix de Paris… LES VIEILLES OUVRIERES Régalez-vous, mesdam s, voilà l plaisir!fanfare dans la coulisse TOUTESdiversement Ah! la musique! Scène SecondeIrma, Camille, Marguerite, Élise, Madeleine et l apprentie vont aux fenêtres et regardent curieusement dans la cour UNE VOIXdans la coulisse, en colère, semblant marquer la mesure Un! BLANCHEse levant et courant vers la fenêtre Quell drôl de fanfare! IRMA Ils accompagn nt un chanteur… CAMILLE Il est bien, c lui-là. SUZANNEpouffant Tu trouves! ÉLISEà Madeleine On dirait l artist de tout à l heure!Élise, Madeleine, l apprentie, croyant que Julien va chanter pour elles, se moquent de Camille qui le trouve à son goût; pendant la première partie de la sérénade, elles échangent des signes d intelligence, envoient des baisers au chanteur et semblent très excitées L APPRENTIE Il nous r garde! CAMILLE Louise! viens voir… il est très bien. L APPRENTIE Très bien!Louise semble ne pas entendre. Guitare dans la coulisse JULIENdans la coulisse Dans la cité lointaine, Au bleu pays d espoir, Je sais, loin de la peine, Un joyeux reposoir, Qui, pour fêter ma reine, Se fleurit chaque soir. LES OUVRIERES Quelle jolie voix! Quelle jolie voix! Ah ma chère, quelle jolie voix! LOUISEà part C est lui! c est Julien!Camille vient prendre le bouquet qu Irma a laissé sur la table pour le jeter au chanteur. Irma veut l empêcher et la pousse. Suzanne se lève, tout en continuant à coudre, elle passe devant les tables, s arrête près de la fenêtre, écoute, ravie, pâmée JULIEN Les fleurs du beau Domaine S avivent chaque soir; Mais l insensible reine Dédaigne leur espoir;Ne daigne s émouvoir.comme en ritornelle Quand viendras-tu, dis-moi, la belle, Au reposoir d ivresse éternelle? L Aube t appelle et te sourit, voici le jour!… Veux-tu que je te mène en ce riant séjour, A l amour! LES OUVRIERES Bravo, bravo, bravo, bravo, bravo, bravo, bravo!fanfare des bohèmes dans la coulisse CAMILLEravie Il va chanter encore! LOUISE Quel supplice! Quel affreux tourment! JULIEN Jadis tu me contais un magique voyage «Tous deux, me disais-tu, dès notre mariage, libres, nous partirons au Pays adoré, loin de ce monde où nous avons pleuré» Voici le jour sacré de tenir ta promesse et l heure du départ, l heure d allégresse, l heure sonne et carillonne et chante à ton coeur les désirs de mon coeur!… Quand partons-nous, dis-moi, la belle, pour le pays d ivresse éternelle? LES OUVRIERESmystérieusement Quelle caresse! Aux accents de sa tendresse, mon coeur s abandonne… Quelle jolie voix! ah! ah! ah! Quelle ivresse! à ses accents mon coeur s abandonne… Quelle jolie voix! ah! ah! ah! Ah quel doux chant de tendresse… Quelle jolie voix! quelle jolie voix! ah! ah! Ah! Ah! quelle caresse! quel doux chant de tendresse! Ah! ah! mon coeur s abandonne! CAMILLE Comme il nous regarde! IRMA On dirait qu il s adresse à l une de nous…Élise fait à Madeleine un geste d intelligence L APPRENTIE C est vrai! LOUISEà part Pauvre Julien! ÉLISE Il n a pas l air content… BLANCHE Jetons-lui des sous! CAMILLE Et des baisers!elles jettent des sous et envoient des baisers au chanteur LOUISEpeut-être jalouse Ah! j aurais dû partir tout à l heureJulien gratte avec rage les cordes de sa guitare GERTRUDE Qu est-c qu il a? L APRENTIE Il devient fou?Rires. Louise se lève, frémissante, puis se rassied. A partir de ce moment, les ouvrières trouvant la chanson moins jolie, ennuyeuse même, échangent des gestes de lassitude, de moquerie. Élise et Madeleine, déçues dans leur espoir, raillent et sifflent impitoyablement le chanteur JULIENavec émotion Si ton âme, oubliant les serments d autrefois, S est détournée de moi; Si tes voeux sont de vivre sans lumière et sans joie… GERTRUDE Que chante-t-il? ÉLISE C est assommant! JULIEN … coeur infidèle… MADELEINEriant Ah! ah! ah!… JULIENavec emphase … va plus loin battre de l aile ÉLISEagacée Ah! CAMILLE Il nous ennuie! GERTRUDEgeignant, avec ennuie Ah! JULIEN Moi, le renonce à vivre car la vie est sans excuse quand l adorée, la seule aimée, à mes appels se refuse! BLANCHE, MARGUERITE Ah! ÉLISE Dieu, qu il m énerve! SUZANNE, MADELEINE Que chante-t-il? IRMA, CAMILLE A-t-il bientôt fini? GERTRUDE C est rasant! BLANCHE, MARGUERITE C est assommant! LES OUVRIERESriant Ah! ah! ah! ah! ah! ÉLISE, SUZANNE, MADELEINEcriant Une autre! L APPRENTIEcriant Une autre! IRMA, CAMILLE, GERTRUDEcriant Une autre! BLANCHEs, MARGUERITE,ÉLISE, SUZANNE, MADELEINEcriant Une autre! TOUTESauf Louise Une autre!Durant cette dernière strophe, Louise se lève, frémissante. L apprentie, juchée sur une chaise, fait la manivelle avec le coin de son tablier roulé imitant comiquement le jouer d orgue JULIEN Le temps passe et tu ne réponds pas… ÉLISE Ah! quel malheur! JULIEN Je ne sais plus que te dire!… GERTRUDE Pauvre petit! JULIEN Faut-il que tu m aies menti jadis!… SUZANNE Quel raseur! L APPRENTIE Oh! la! la! quell scie! ÉLISE Va chez l coiffeur! JULIEN Faut-il que tu m aies menti! LES JEUNES OUVRIEREScriant Menti! LES VIEILLES OUVRIERES A-t-il bientôt fini?L apprentie court ramasser des chiffons et les jette dans la cour JULIEN Sois maudite! Fille sans coeur! Ame sans foi! IRMA, CAMILLEriant Ah! ah! ah!… JULIEN Assez! assez!lui répondant par la fenêtre Fille sans coeur! Ame sans foi! GERTRUDEriant Ah! ah! ah!… J en pleure! c est tordant! Quell scie!criant Ferme ça BLANCHE, MARGUERITEriant Ah! ah! ah! ah! ah! C te tête! quel type! Voyez-le donc… il est fou! il est fou!criant Music! ÉLISEriant Ah! ah! ah! ah! ah! Il est fou! il est saoûl!Élise ramasse des chiffons et les jette dans le cour A Charenton! quel cauch mar! oh! la, la! SUZANNEriant Ah! ah! ah! ah! ah! Il est saoûl! il est fou! Quel crampon! il est saoûl! il est saoûl!criant Music! MADELEINEriant Ah! ah! ah! ah! ah! Assez! quell scie! Quel crampon! il est saoûl! il est saoûl!criant Music! L APPRENTIEcriant, les mains en porte-voix Ta bouche! Il est fou!faisant des gestes à la fenêtre Music! LES JEUNES OUVRIERESironiquement Bravo! bravo! bravo!imitant le chanteur Fille sans coeur! Ame sans foi! LES VIEILLES OUVRIEREScriant Assez! assez! assez!cri plaintif Ah! A-t-il bientôt fini!Élise et Camille se rasseyent IRMA, CAMILLE, ÉLISE, L APPRENTIE, JEUNES OUVRIEREScriant Music! TOUTEScriant Music! Music! Music!Les musiciens de la cour obéissent et jouent. Charivari. Les ouvrières dansent et chahutent. Louise se lève. Son visage exprime l angoisse; elle hésite un moment, puis elle va prendre son chapeau et se dispose à sortir IRMA, CAMILLE, ÉLISE, SUZANNE La la la la la la la la La la la la LES AUTRES OUVRIERES La la la la la la la La la la la TOUTESrires Ah! ah! ah! ah! ah!… GERTRUDEs apercevant du trouble de Louise; à Louise Louise, qu avez-vous? Êtes-vous souffrante?d autres ouvrières s approchent L APPRENTIEregardant par la fenêtre Il s en va! LOUISEavec embarras Oui… je ne suis pas bien… J étouffe… je suis tout étourdie…Elle se lève, fiévreuse Je ne puis rester! CAMILLE Tu veux partir?Louise, indécise, semble écouter au loin LOUISEdécidée Oui, je préfèr rentrer chez nous.à Gertrude Vous direz à Madame que j ai dû m en aller…Elle prend son chapeau et va vers la porte. Quelques ouvrières l entourent IRMAaffectueusement Louise, qu as-tu?Louise, embarrassée, ne sait que répondre CAMILLEde même Tu souffres? IRMA Veux-tu que je t accompagne? LOUISE Non, laissez-moi…elle ouvre la porte; bas avec effort Adieu!Elle disparaît. La fanfare s éloigne. Les ouvrières, étonnées, se regardent Scène Troisième ÉLISE Qu est-c qui lui prend? CAMILLE Qu est-c que ça veut dire? IRMAprenant la défense de Louise Elle était malade! SUZANNEironique Comm vous et moi! L APPRENTIEcriant C est la faute au chanteur! ÉLISE, SUZANNE, MADELEINE Voyons! IRMA, BLANCHE, MARGUERITE Voyons!Elles se précipitent aux fenêtres CAMILLE La voici! GERTRUDErestée assise; criant Eh bien! que fait-elle? ÉLISE, SUZANNE Parfait! IRMA, CAMILLE C est bien ça!Les ouvrières restées assises, se lèvent et courent aux fenêtres TOUTESavec stupéfaction Ah!…Gertrude et la première joignent les mains avec épouvante L APPRENTIEavec transport, criant Ils part nt en prom nade!Elle se roule à terre TOUTESriant aux éclats Ah! ah! ah!Rideau vivement Charpentier,Gustave/Louise/III
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ACTE DEUXIÈME Premier Tableau (Un boudoir élégant. Porte au fond. Portes latérales. A droite une fenêtre, à gauche une cheminée. Toilette, fauteuils, etc) Scène Premère (Philine, Laërte. Philine est assise devant la toilette. On frappe à la porte) ▼LAERTE▲ (du dehors) Peut-on entrer? ▼PHILINE▲ C est vous, Laërte?... ▼LAERTE▲ (entrant, il est un peu gris) Oui, ce n est que moi! Bonsoir, Philine. ▼PHILINE▲ Bonsoir, Laërte. ▼LAERTE▲ Je ne vous dérange pas? ▼PHILINE▲ Vous!... Jamais!... ▼LAERTE▲ Au fait! je ne suis que votre ami... et il y a si longtemps!... (Regardant autour de lui) C est ici qu on vous loge? ▼PHILINE▲ Oui, mon cher! dans le boudoir de madame la baronne. ▼LAERTE▲ Dont monsieur le baron a gardé la clé!. ▼PHILINE▲ Impertinent! ▼LAERTE▲ Bah!... s il vous aime!... ▼PHILINE▲ Et si je ne l aime pas?... ▼LAERTE▲ Vous avez tort! Un homme chez qui l on fait si bonne chère, mérite quelques égards!... ▼PHILINE▲ Vous avez bien soupé, il paraît? ▼LAERTE▲ Comme un roi!... pas de théâtre, s entend! (Il s étend dans un fauteuil) ▼PHILINE▲ Et le vin du baron vous a mis, je crois, en belle humeur. ▼LAERTE▲ Je le crois aussi! (Déclamant) Rien ne vaut pour nous égayer Le vin qu on n a pas à payer!... ▼PHILINE▲ (riant) Fi! mon cher, vous êtes gris! ▼LAERTE▲ Non! je suis gai, je me sens en humeur de rire et de déraisonner; je suis capable de jouer très bien la comédie ce soir! Ce sera drôle! ▼PHILINE▲ Et nouveau! ▼LAERTE▲ Et nouveau! Je suis même capable de vous faire des compliments et de composer un madrigal en votre honneur! Ce sera bien plus nouveau encore! ▼PHILINE▲ Et bien moins amusant! ▼LAERTE▲ On ne sait pas. Je suis très galant quand je veux! (Se levant) Écoutez plutôt... Madrigal Belle, ayez pitié de nous! Daignez baisser vos paupières! Le cils de vos yeux si doux... Sont des flèches meurtrières Du Dieu qui nous blesse tous! (Il fait une pirouette) Voilà! ▼PHILINE▲ (riant) Bravo! On croirait entendre le jeune Frédéric. ▼LAERTE▲ Merci! ▼PHILINE▲ Ou le baron lui-même. ▼LAERTE▲ Bien obligé! ▼PHILINE▲ Moi, je vous tiens compte de l intention. Et je suis d autant plus touchée de cet accès de galanterie de votre part, que jusqu à ce jour vous ne m y avez guère accoutumée!... ▼LAERTE▲ (tranquillement) C est vrai! (Lui tendant une bonbonnière) Une pastille... ▼PHILINE▲ (puisant dans la bonbonnière) Merci! (S’appuyant familièrement sur son épaule) Avouez pourtant une chose, mon cher Laërte, c est que vous êtes bien heureux d être mon ami... sans quoi, vous auriez fait la route à pied... convie les autres. ▼LAERTE▲ C est probable! ▼PHILINE▲ Et au lieu do trouver ici le souper préparé... ▼LAERTE▲ Je me serais morfondu à la porte, ou dans quelque salle basse du château... comme les autres... ▼PHILINE▲ C est sûr! ▼LAERTE▲ A propos des autres, savez-vous ce qui leur est arrivé? ▼PHILINE▲ Non! contez-moi cela. ▼LAERTE▲ L histoire est navrante! ▼PHILINE▲ Bah! ▼LAERTE▲ Vous allez voir... Pendant que nous galopions gaiement sur la grande route, dans le carrosse du baron, nos infortunés camarades, surpris par l orage à une lieue ou deux du château, égarés dans des chemins de traverse qu ils ne connaissaient pas, percés d outre en outre par une pluie battante, ont failli, il parait, rester embourbés jusqu au cou dans une grenouillère!... ▼PHILINE▲ En vérité!... ▼LAERTE▲ (déclamant) Oui, Madame, embourbé» dans une grenouillère! Sctrwartz y perd sa perruque... avec sa tabatière; Aloysius, au milieu des jurons et des cris, Manque de s y noyer... avec ses manuscrits; Le fidèle carlin de la vieille Gudule Voit nager sa maîtresse... après son ridicule, Veut les sauver Ions deux, et périt sous les eaux Conrad enfin, Conrad, du milieu des roseaux, Sort comme un Dieu marin, et laisse dans la mare Le peu de voix qu il doit à la nature avare! ▼PHILINE▲ O malheureux Conrad! ▼LAERTE▲ O regrets superflus! Il éternue encor; — mais il ne chante plus! Bref, sans le secours de quelques paysans qui ont bien voulu les aider à se tirer de là et les remettre sur le bon chemin, c en était fait de nos amis!... — Que dites-vous de l aventure?... N êtes-vous pas émue... attendrie?... ▼PHILINE▲ (avec indifférence) Pas du tout. — Qu est-ce que cela me fait? ▼LAERTE▲ Et à moi donc? (Ils se regardent et éclatent de rire) ▼PHILINE▲ (déclamant) Je ris de leurs malheurs comme ils riraient des nôtres! ▼LAERTE▲ Quand tout va bien pour nous pourquoi songer aux autres! (Lui tendant de nouveau sa bonbonnière) Encore une... ▼PHILINE▲ (lui prenant familièrement le bras) Parlons d autre chose, voulez-vous? Avez-vous des nouvelles de notre ami? ▼LAERTE▲ Qui? Frédéric? il est ici, je l ai vu rôder dans les jardins... ▼PHILINE▲ Il s agit bien de Frédéric! je vous parle de ce jeune homme que nous avons rencontré ce matin... dans Cette auberge... ▼LAERTE▲ M. Wilhelm Meister?... ▼PHILINE▲ Lui-même. ▼LAERTE▲ (d un air moqueur) Au fait, je me rappelle, ne l avez-vous pas invité à nous rejoindre ici? Ne lui avez-vous pas offert de le présenter au baron, en qualité de poète de la troupe? Ne vous a-t-il pas promis de venir? ▼PHILINE▲ (souriant) Je crois que oui. ▼LAERTE▲ Eh bien! il ne viendra pas. ▼PHILINE▲ Pourquoi? Qu en savez vous? ▼LAERTE▲ Je lui ai dit ce qu il fallait, et j espère qu il se souviendra de mes bons avis. ▼PHILINE▲ (vivement, lui quittant le bras) Eh! mon cher, je vous trouve plaisant avec vos bons avis!... N est-ce pas vous qui me l avez présenté? ▼LAERTE▲ Oui, par malice. ▼PHILINE▲ Plaît-il? ▼LAERTE▲ Les victimes de l amour me font toujours rire, en souvenir de mes infortunes conjugales, et je le poussais moi-même dans vos filets... pour m amuser! ▼PHILINE▲ Vous êtes poli! ▼LAERTE▲ Mais il me plaît, ce garçon, il m intéresse! Je serais désolé qu il lui arrivât malheur! ▼PHILINE▲ De mieux en mieux! Vous me paierez cela, Laërte! Quant à M. Meister... ▼LAERTE▲ Nous ne le verrons plus! ▼PHILINE▲ Lui!... (Riant) Il est en route depuis longtemps! il frappe en ce moment à la porte du château... il demande à me voir... on nous l amène... il vient!... et... ▼UN LAQUAIS▲ (annonçant) M. Wilhelm Meister. ▼PHILINE▲ Et le voilà!... ▼LAERTE▲ (étonné) Ah! bah! (a Philine) Ma foi! tant pis pour lui! je ne m’en mêle plus! ▼PHILINE▲ C est tout ce que je vous demande! (Au laquais) Faites entrer. Scène Deuxième (Les Mêmes, Wilhelm Meister, puis Mignon) ▼WILHELM▲ (entrant) Charmante Philine!... Mon cher Laërte!... ▼PHILINE▲ Je suis ravie, Monsieur, que vous vous soyez souvenu de votre promesse!... ▼WILHELM▲ Et moi je vous remercie de m avoir invité à vous suivre!... je me réjouis d assister à cette fête et d avoir l occasion de vous applaudir!... ▼LAERTE▲ Nous applaudir! oh! pourquoi?... ▼PHILINE▲ Je me charge de vous présenter au baron. ▼LAERTE▲ Et moi a la baronne. Mais permettez-moi d abord d aller donner un coup d œil aux préparatifs de la représentation... Le théâtre est installé dans la serre du château, à deux pas d ici, au bout de la galerie. Nous jouons ce soir Le songe d une nuit d été, d un nommé Shakespeare... un poète anglais qui ne manque pas de mérite. C est l illustre Aloysius, noire souffleur, qui a refait la pièce au goût du jour. Les invités du baron n y comprendront rien tout de même!... Mais peu importe! Philine sera charmante dans son costume de Titania! Quant à moi, je vais revêtir les habits du seigneur Thésée, duc d Athènes, et je reviens vous chercher quand il en sera temps!... (A Wilhelm, déclamant) A bientôt, cher monsieur! (A Philine) Adieu, ma toute belle! Je vous laisse avec lui!... (A Wilhelm) Je vous laisse avec elle! (Il remonte au fond et s arrête sur lu seuil) Mais quelle est cette enfant qui se tient là en dehors, derrière la porte? ▼WILHELM▲ C est Mignon. ▼PHILINE▲ Mignon! ▼WILHELM▲ Oui, la pauvre enfant n a pas voulu se séparer de moi. Je lui ai fait quitter ses haillons de bohémienne, et elle m a suivi. Voulez-vous que je l appelle! ▼PHILINE▲ Sans doute, je suis curieuse de la voir! ▼WILHELM▲ (appelant) Mignon! ▼MIGNON▲ (paraissant sur le seuil) Tu m as appelée, maître?... (Mignon entre timidement. Elle est vue en jeune garçon et porte un petit paquet qu elle laisse tomber sur le seuil. Musique a l orchestre rappelant le motif e la danse des œufs du premier acte) ▼PHILINE▲ (riant) Ah! ah! ah! ah! La plaisante métamorphose! ▼WILHELM▲ (à Mignon) Approche sans crainte, chère enfant! Voilà un bon feu qui va te réchauffer. Demande à Philine, la permission de t asseoir là un moment... dans ce beau fauteuil! ▼PHILINE▲ Oui, oui, réchauffe-toi, Mignon; tu nous danseras après, la danse des œufs. (Mignon fait on mouvement, ses yeux rencontrent ceux de Wilhelm) ▼MIGNON▲ Si tu l ordonnes... j obéirai. ▼PHILINE▲ (à part) Quelle étrange idée de nous amener cette bohémienne! ▼LAERTE▲ (bas à Mignon) Si tu aimes ton maître, ne le quitte pas, et méfie-toi de Philine! ▼PHILINE▲ Vous dites?... ▼LAERTE▲ Moi! rien!... à bientôt. (Bas à Mignon) Méfie-toi! (Il sort) Scène Troisième Trio ▼WILHELM▲ Plus de soucis, Mignon! plus de tristes pensées! Viens réchauffer tes mains glacées, A ce foyer, hospitalier!... (Il fait asseoir Mignon dans un fauteuil devant la cheminée) ▼MIGNON▲ (a demi voix) Je ne me souviens plus de mes douleurs passée! le n ai plus froid! Je suis heureuse à ton côté! ▼PHILINE▲ (riant) Quels soins touchants! Que de bontés! Permettez-moi de rire De ce beau dévouement! ▼MIGNON▲ (á part) Hélas! qu a-t-elle à rire? Cruel amusement! ▼WILHELM▲ (á Philine) Vous faites bien de rire Votre rire est charmant! ▼PHILINE▲ Mon cher, je vous admire, C est tout à fait charmant! (Elle rit) Au lieu d être servi par votre jeune page, C est vous qui le servez! ▼WILHELM▲ (se rapprochant de Philine) Près de vous, à vos pieds, J accepterais, si vous vouliez, Un plus doux servage. ▼PHILINE▲ Vraiment! (Lui désignant un flambeau sur la cheminée) Apportez donc ce flambeau par ici. (Ille s asseoit devant sa toilette. Wilhelm va prendre le flambeau et retient avec empressement près de Philine. Mignon suit tous ses mouvement du regard sans quitter le fauteuil où elle est blottie) ▼WILHELM▲ Je me fais votre esclave! ordonnez, me voici! ▼PHILINE▲ Bien! posez-là d abord votre flambeau... (Wilhelm pose le flambeau sur la. toilette) Merci! (Se regardant dans le miroir) Mon coiffeur m a, ce soir, indignement coiffée!... Mais vous allez me voir dans ma robe de fée!... Je veux éblouir tous les yeux! Je crois déjà, je crois entendre, Et les soupirs et la voix tendre, De vingt galants jeunes et vieux! Ensemble ▼WILHELM▲ J admire l éclat de vos yeux! Je suis ravi, charmé d entendre Cette voix amoureuse et tendre, Ce rire moqueur et joyeux! ▼MIGNON▲ (a part) N écoutons pas! Fermons les yeux! De cet entretien doux et tendre, Non, non, je neveux rien entendre, Pour dormir, je fais de mon mieux. (Mignon fait semblant de dormir. Philine chante follement en achevant de se farder devant son miroir) ▼WILHELM▲ (se penchant amoureusement vers Philine) Belle Philine, aimable enchanteresse, Vos doux regards, et vos attraits vainqueurs, A votre char enchaînent tous les cœurs! Autour de vous, tout sourit et s empresse!... ▼PHILINE▲ Ce bracelet du prince est charmant, n est-ce pas? ▼WILHELM▲ On vous fête, on vous aime, on vous adore... hélas! Pourquoi n aimez-vous pas? ▼PHILINE▲ Au baron, cher monsieur, il faut qu on vous présente. ▼WILHELM▲ Philine, un mot encore!... un mot!... ▼PHILINE▲ (montrant Mignon) Parlez plus bas!... Notre hôte nous attend... Offrez-moi votre bras. (Elle fait quelques pas; Wilhelm la retient) ▼WILHELM▲ Quoi! sans répondre... ▼PHILINE▲ (lui tendant la main) Allons! J ai l âme complaisante!... (Wilhelm porte la main de Philine à ses lèvres. Au bruit du baiser, Mignon fait un mouvement, sans ouvrir les yeux) ▼PHILINE▲ (à part) Je savais bien qu elle ne dormait pas. ▼WILHELM▲ (à demi voix, avec passion) O Philine! ô coquette! ô fille séduisante! J admire l éclat de vos yeux! Je suis ravi, charmé d entendre, Cette voix amoureuse et tendre, Ce rire moqueur et joyeux!... ▼PHILINE▲ (riant) Out, je veux plaire à tous les yeux! Je crois déjà, je crois entendre Et les soupirs et la voix tendre De vingt galants jeunes et vieux! ▼MIGNON▲ (à part) N écoutons pas ; fermons les yeux De cet entretien doux et tendre, Non, non, je ne veux rien entendre, pour dormir, je fais de mon mieux. (Wilhelm offre son bras à Philine et sort avec elle par la porte du fond) Scène Quatrième ▼MIGNON▲ (seule) Me voilà seule! (Elle se lève) Ah! pauvre Mignon! Il s éloigne sans même retourner la tète de ton côté! Il ne pense plus à toi... Il t oubli déjà pour cette Philine! (Après un silence) Eh bien! que t importe! n es-tu pas sûre de son amitié? n a-t-il pas comble tous tes vœux en te permettant de le suivre et de le servir?... De quoi te plains-tu, ingrate? Pourquoi pleures-tu? (Essuyant vivement ses yeux) Non! non! ce n est rien! c est passé! je ne pleure plus! je suis heureuse. (Elle va et vient dans le boudoir, examinant curieusement les meubles et les tentures) Comme c est beau ici!... je n ai jamais rien vu de pareil!... non! jamais!... Si ce n est en rêve peut-être... Ces meubles dorés, ces tentures de soie... ces miroirs étincelants!... (s approchant de la toilette) C est là qu elle était assise tout à l heure pendant que Meister se penchait à son oreille, pour lui dire... ce que tant d autres lui disent chaque jour... ce que son miroir lui dit plus souvent encore! Et moi, du fond de mon fauteuil, j écoulais! je fermais les yeux et j écoutai. I coûtait! Je voulais dormir... et je ne pouvais pas!... C est mal, je le sais, mais je ne pouvais pas!... Pardonne-oi, cher maître!... (S asseyant devant la toilette) Voici les bouquets et les billets galants de tous ses amoureux... Voici le fard dont elle couvre ses joues... la poudre dont elle parfume ses cheveux... (Essayant de se farder) Si j essayais de me farder aussi!... Ah! ma pâleur disparaît déjà! mes yeux sont plus brillants!... (Elle rit et chante) I Il était un pauvre enfant, Un pauvre enfant de Bohême, Au regard triste, au front blême... (Se regardant dans le miroir) Ah! ah! la folle histoire! en vain je m en défend! Je me trouve bien mieux! je ne suis plus la même, Ta la, ralla! Ta la, ralla! Est-ce bien Mignon que voilà? II Un beau jour, tout triomphant, Tout lier de son stratagème, Pour plaire au maître qu il aime... (Se regardant de nouveau en riant) Ah! ah! la folle histoire! En vain je m en défends! Je me trouve bien mieux, je ne suis plus la même. Ta la ralla! Ta la ralla! Est-ce bien Mignon que voilà? Non, je ne me reconnais plus!... Ah! l heureuse Philine!... Je comprends qu on la trouve belle!... c est avec tout cela qu elle plaît. (Allant ouvrir la porte du cabinet) N est-ce point là qu on a rangé ses robes? (Elle regarder curieusement dans le cabinet) Oui!... C’est bien! je suis seule! Personne ne peut me voir... Quelle folle idée me traverse l esprit?... Quel démon me tente?... (Elle entre dans le cabinet. La fenêtre s ouvre brusquement. Frédéric parait sur le balcon) Scène Cinquième ▼FRÉDÉRIC▲ (seul) C est moi! (il saute dans la chambre) Le treillage s est brisé sous mes pieds, le vent a emporté mon chapeau et j ai failli m accrocher en route!... Mais n importe!... me voilà dans la place!... (Regardant autour de lui) C est bien ici que mon oncle a logé Philine! dans le boudoir de ma tante! Quel oubli de toutes les convenances!... Ah! fi! monsieur le baron, fi! Vous mériteriez que madame la baronne de son côté... Au fait! je crois quo depuis longtemps... mais ce n est point de cela qu il s agit! Je suis furieux! je suis exaspéré!... je suis décidé à disputer Philine à mon oncle, au prince de Tiefenbach, au monde entier!... (Portant la main à la garde de son épée) Et l épée au poing, s il le faut! malheur au premier galant qui se présente!... Scène Sixième ▼WILHELM▲ (entrouvrant la porte du fond) Mignon!... ▼FRÉDÉRIC▲ Hein? Qui est cette voix? ▼WILHELM▲ (entrant) Où donc est elle?... Philine m a fait promettre de gêner, et je... (Apercevant Frederick) Ah! ▼FRÉDÉRIC▲ (à part) N est-ce point là ce nouveau galant qu elle m a présenté ce matin? ▼WILHELM▲ (à part) N est-ce point là ce jeune sot... de l auberge?... ▼FRÉDÉRIC▲ Monsieur!... ▼WILHELM▲ Monsieur!... ▼FRÉDÉRIC▲ Vous ici... dans ce château!... ▼WILHELM▲ Comme vous voyez!... ▼FRÉDÉRIC▲ Vous faites donc partie de la troupe? ▼WILHELM▲ Il faut le croire. ▼FRÉDÉRIC▲ En quelle qualité? ▼WILHELM▲ En qualité... de poète, si vous le permettez... ▼FRÉDÉRIC▲ Mais de quel droit, Monsieur, osez-vous pénétrer ainsi chez mademoiselle Philine? ▼WILHELM▲ Et de quel droit, Monsieur, vous trouvez-vous chez elle? ▼FRÉDÉRIC▲ J y suis entré par la fenêtre, au risque de me rompre le cou! ▼WILHELM▲ Et moi, par la porte, sans courir aucun risque. ▼FRÉDÉRIC▲ Moi, Monsieur, je suis de ses amis!... ▼WILHELM▲ Moi de même, Monsieur. ▼FRÉDÉRIC▲ Voilà plus d un an que mes soins sont accueillis! ▼WILHELM▲ Les miens datent de ce matin... et ne sont point repoussés. ▼FRÉDÉRIC▲ Enfin, Monsieur, je l adore! ▼WILHELM▲ Moi, Monsieur, j en suis fou. ▼FRÉDÉRIC▲ Alors, Monsieur, nous sommes rivaux! ▼WILHELM▲ Il paraît. ▼FRÉDÉRIC▲ Et mademoiselle Philine vous donne rendez-vous chez elle?... Et vous vous proposez de me disputer son amour? ▼WILHELM▲ Oui... pardieu!... ▼FRÉDÉRIC▲ Il suffit, Monsieur! (Tirant son épée) En garde! ▼WILHELM▲ Plaît-il?... ▼FRÉDÉRIC▲ (d un air terrible) En garde! ▼WILHELM▲ (riant) Vous voulez vous, battre... dans ce salon?... ▼FRÉDÉRIC▲ Oui!... chez Philine!... dans son boudoir! c est original! ▼WILHELM▲ (tirant son épée) Soit, Monsieur, battons-nous! ▼FRÉDÉRIC▲ Battons-nous! (Ils croisent le fer. Mignon, revêtue d une des robes de Philine, sort du cabinet) Scène Setième (Les Mêmes, Mignon) ▼MIGNON▲ (s élançant entre eux) Ah!... Meister!... Dieu!... ▼WILHELM▲ Mignon!... ▼FRÉDÉRIC▲ Mignon!... quelle Mignon?... que signifie?... mais je ne me trompe pas! c est une des robes de Philine. (Riant) Ah! Ah! Ah!... ▼WILHELM▲ Monsieur!... ▼FRÉDÉRIC▲ Calmez-vous! nous nous reverrons! Dieu me garde de tuer cette belle enfant pour arriver jusqu à vous! à bientôt! ▼WILHELM▲ A bientôt! ▼FRÉDÉRIC▲ (lorgnant Mignon) Parbleu! je cours dire a Philine... (Riant) Ah! Ah! ah!... (Il sort en riant. On l entend rire encore dans la coulisse) Scène Huitième (Wilhelm, Mignon) ▼WILHELM▲ Toi!... Mignon!... sous ces habits!... ▼MIGNON▲ (confuse) Pardonnez-moi!... Ne me grondez pas! ▼WILHELM▲ Pourquoi ce déguisement? M expliqueras-tu?... ▼MIGNON▲ Oh! je suis en faute, je le sais... Je n avais pas le droit d essayer ces belles parures qui ne m appartiennent pas... mais je me croyais seule... et je n ai pu résister... ▼WILHELM▲ Deviens-tu folle!... Veux-tu que je sois la risée de tous ces gens qui sont ici?.. Pourquoi as-tu quitté ta livrée?... Pourquoi n attends-tu pas mes ordres?... Est-ce ainsi que tu sers ton maître? Alors, séparons-nous, cela vaut mieux! ▼MIGNON▲ (tristement) Tu me chasses... déjà? ▼WILHELM▲ Eh! non, je ne te chasse pas!... je ne te reproche rien!... je te sais gré du tendre mouvement qui vient de te jeter dans mes bras... pour me protéger contre l épée de ce jeune furibond! Mais je comprends maintenant que j ai eu tort de céder à ta prière! (Gaiement) Je ne puis vraiment pas traîner plus longtemps à ma suite... un page de ta sorte. ▼MIGNON▲ (naïvement) Pourquoi? ▼WILHELM▲ (avec embarras) Pourquoi? Parce qu une fille comme toi n est pas faite pour servir un garçon de mon âge!... parce que... parce que tu es femme enfin!... je l avais oublié... et c est toi-même qui me le rappelles en te montrant à moi sous ce costume! ▼MIGNON▲ Je croyais... je m étais imaginée... ▼WILHELM▲ Quoi donc? ▼MIGNON▲ Rien! rien!... J étais folle, en effet!... Je vais bien vite quitter ces beaux habits qui me font plus laide et plus gauche encore à vos yeux!... ▼WILHELM▲ (l examinant en souriant) Mais nun!... au contraire!... (Mignon le regarde) Va vite, va!... (il la pousse vers le cabinet) Si Philine revenait... ▼MIGNON▲ Ah!... vous craignez les moqueries de mademoiselle Philine!... c est elle, sans doute... c est elle qui vous a donné le conseil de vous séparer de moi!... Eh bien! Il faut lui obéir! ▼WILHELM▲ (avec douceur) Voyons, chère petite, réfléchis un peu... Je ne puis te garder! que dirait-on? Que penserait-on? (Riant) On finirait par me croire amoureux de toi. ▼MIGNON▲ (vivement) Oui, tu as raison, il faut nous quitter! ▼WILHELM▲ Je ne t abandonne pas d ailleurs; je t envoie chez une vieille parente à moi qui te recevra bien et te traitera comme sa fille. (Mignon se laissant tomber dans un fauteuil) ▼WILHELM▲ I Adieu, Mignon, courage! Ne pleure pas! Les chagrins sont bien vite oubliés à ton âge! Dieu te consolera! mes vœux suivront tes pas!... Ne pleure pas! Puisses-tu retrouver et famille et patrie! Puisses-tu rencontrer, en chemin, le bonheur! Je te quitte à regret, et mon âme attendrie, Partage ta douleur! Adieu, Mignon, courage! Ne pleure pas! Les chagrins sont bien vite oubliés à ton âge! Dieu te consolera! mes vœux suivront tes pas!... Ne pleure pas! II N accuse pas mon cœur de froide indifférence! Ne me reproche pas de suivre un fol amour! En te disant adieu, je garde l espérance De te revoir un jour! Adieu, Mignon, courage! Les chagrins sont bien vite oubliés à ton âge. Dieu te consolera! mes vœux suivront tes pas! Ne pleure pas! ▼MIGNON▲ (avec résolution) Je te remercie de tes bontés, mais je ne puis accepter l asile que tu m offres. Pour toi je renonçais à ma liberté; sans toi je veux être libre! ▼WILHELM▲ Chère enfant! écoute la raison! ▼MIGNON▲ La raison est cruelle, maître! le cœur vaut mieux. ▼WILHELM▲ Mais que vas-tu devenir? ▼MIGNON▲ Ce que j étais — Mignon! (Lui montrant le petit paquet de hardes qu elle a laissé tomber sur le seuil du fond) J ai eu raison, tu le vois, de garder mes pauvres habits de bohémienne. Je vais les reprendre et je pars! ▼WILHELM▲ (à part) Ah! pourquoi Philine exige-t-elle que je me sépare de Cette enfant! (La rappelant) Mignon!... (Mignon accourt joyeuse il lui tend une bourse) Prends cette bourse au moins! ▼MIGNON▲ (avec chagrin) Non! je ne veux pas de ton argent ; ta main suffit! Donne moi ta main encore une fois! je pars heureuse! (Lui saisissant la main et la portant a ses lèvres) Adieu et merci! ▼WILHELM▲ Non! je ne peux te laisser partir!... ▼MIGNON▲ Il le faut!... Demain je serai loin; tu ne me verras plus! ▼WILHELM▲ Où iras-tu? ▼MIGNON▲ Là-bas, comme autrefois, par les sentiers perdus! ▼WILHELM▲ Qui te protégera? ▼MIGNON▲ Dieu, les anges et la Madone! A leur pitié, je m abandonne... ▼WILHELM▲ Qui te nourrira? ▼MIGNON▲ Aux passants je tendrai la main! Et sans attendre qu on ordonne, Je danserai gaîment pour un morceau de pain!... (Avec un éclat de rire qui se termina en sanglots) Ah! ah! ah! ▼WILHELM▲ (la pressant dans ses bras) Mignon! (Philine parait au fond avec Frédéric) Scène Neuvième ▼PHILINE▲ Vous avez dit vrai. Frédéric! ▼MIGNON▲ Philine!... ▼WILHELM▲ Philine!... ▼PHILINE▲ (s avançant) Mignon affublée d une de mes robes... Mignon dans les bras de monsieur Meister!... ▼WILHELM▲ (avec embarras) Mignon a cédé à un caprice d enfant, en se parant un instant de vos atours, ma chère Philine. Elle me priait de -vous demander sa grâce... et me faisait ses adieux. ▼PHILINE▲ Elle part! ▼WILHELM▲ (bas) N est-ce pas vous qui l avez voulu? ▼PHILINE▲ Moi? nullement!... pourquoi donc? Je veux être son amie, au contraire!... Et si ma robe lui plaît... je la lui donne de bon cœur. (Examinant Mignon d un air moqueur) Elle est vraiment très bien ainsi!... très bien!... son ancien maître... Jarno... l homme au bâton, no la reconnaîtrait plus!... (Mignon arrache avec colère les rubans dont elle est parée) Oh! oh! quelle rage contre mes pauvres dentelles!... (Mignon se redresse, la regarde fixement, et après avoir ramassé le paquet de hardes qu elle a laissé sur le seuil, elle court se cacher dans le cabinet de droite) Et quel regard!... (Bas a Wilhelm, en souriant) On dirait, Dieu me pardonne, que cette petite sauvage est jalouse de moi! ▼WILHELM▲ Jalouse!... (Musique dans la coulisse. Quelques comédiens, revêtus de costumes do théâtre, traversent la galerie du fond, précédés par des laquais portant des flambeaux) ▼LAERTE▲ (paraissant sur le seuil, au fond, son rôle à la main, et vêtu en prince Thésée) Holà!... Puch, Ariel, Obéron... passez devant; je vous suis. (il entre en déclamant) L heure de notre hymen s avance à tire d aile, Belle Hippolyte! Encor trois jours d ennui! trois jours! Et puis naîtra pour nous une lune nouvelle, Lune au pâle croissant, emblème des amours!... (Se tournant vers Philine) Eh bienl que faites-vous donc, vous autres?... Me voilà déguisé en prince Thésée, tous nos camarades sont sous les armes, — ces messieurs de l archet sont à leur poste... et Titania n est pas encore prête! ▼PHILINE▲ J ai le temps de me transformer en fée dans la coulisse... (A Fredérick) Prenez mon costume, là, dans ce cabinet. (Elle indique le cabinet de gauche) ▼FRÉDÉRIC▲ (avec empressement) Je me charge de vous l apporter sur le théâtre! ▼PHILINE▲ Bien! rendez-vous utile. (Frédéric sort) ▼LAERTE▲ (a Philine) Philine, je ne sais plus un mot de mon rôle!... Et toi? ▼PHILINE▲ Moi, j ai bien autre chose en tête! ▼LAERTE▲ (riant) Bon! la représentation promet d être amusante! (Se tournant vers Wilhelm) Venez-vous?... ▼WILHELM▲ (distrait) Je vous suis. ▼LAERTE▲ (bas à Philine) Qu a-t-il donc? ▼PHILINE▲ Je vous conterai cela. ▼WILHELM▲ (à part) Jalouse!... ▼PHILINE▲ (à Laërte) Je l ai surpris ici même, avec la jeune Mignon... ▼LAERTE▲ Ah!... ▼PHILINE▲ Qui s était parée d une de mes robes pour lui plaire! ▼LAERTE▲ Bah! ▼PHILINE▲ La pauvre fille, je crois, est amoureuse de son maître. ▼LAERTE▲ Diable! ▼PHILINE▲ Vous ne riez pas? ▼LAERTE▲ Non. ▼PHILINE▲ Pourquoi? ▼LAERTE▲ (sérient) Parce que vous riez. ▼LE SOUFFLEUR▲ (paraissant au fond) Laërte... Philine... on commence!... ▼LAERTE▲ (courant à lui) Ah! mon cher Aloysius!... soufflez bien!... où je suis perdu!... (Déclamant) L heure de notre hymen... belle Hippolyte!... (Jetant son rôle en l air) Ma foi!... tant pis! à la campagne!... (Il entraîne Aloysius) ▼PHILINE▲ (à Wilhelm) M. Meister!... ▼WILHELM▲ (sortant de sa rêverie) Pardon! (Il offre son bras à Philine, Mignon entrouvre la porte du cabinet de droite) ▼PHILINE▲ (à Wilhelm) A quoi rêvez-vous donc? Est-ce que vous no m aimez plus? ▼WILHELM▲ Moi, Philine Je t adore!... (Ils disparaissent dans la galerie du fond) ▼FRÉDÉRIC▲ (sortant du cabinet de gauche, les bras chargés des robes de Philine) Philine! chère Philine... me voici!... Eh bien! elle ne m attend pas! elle s éloigne au bras de M. Meister! Décidément je le tuerai! (Il s élance sur les traces de Philine) ▼MIGNON▲ (reparaissant, vêtue de sou costume du premier acte) Cette Philine!... je la hais!... (Elle sort en courant) Deuxième Tableau (Un coin du parc. Au fond, à droite, une serre attenante au château, et éclairée à l intérieur. A gauche, une large pièce d eau bordée de roseaux. Musique et bruit d applaudissements dans la coulisse. Mignon se glisse sous les arbres et se penche dans l ombre pour écouter) Scène Première ▼MIGNON▲ (seule) Elle est là près de lui! Son triomphe commence! Et moi j erre au hasard dans ce jardin immense... (Avec agitation) Elle est aimée! il l aime! eh bien! je le savais! Ces tourments, je les éprouvais! Non! je ne l avais pas entendu de sa bouche, Ce mot qui déchire mon cœur! Espères-tu que ton chagrin le louche, Pauvre Mignon! il l aime! et son rire moqueur, Rend plus cruelle encor cette parole! Il l aime] ô Dieu! je deviens folle, De rage et de douleur! (Courant vers la pièce d eau) Ah!.... ce flot clair et tranquille M attire à lui! — j entends parmi les verts roseaux, Votre voix, ô filles des eaux!... Vous m appelez à vous sous cette onde immobile!... (Elle va pour s élancer, les accords d une harpe se fond entendre sous les arbres) Ciel! qu entends-je? écoutons!... (Redescendant en scène) Le mauvais ange a fui! Je veux vivre! (Lothario parait) Est-ce toi, Lothario?... (Avec joie) C est lui! Scène Seconde ▼LOTHARIO▲ (ne reconnaissant pas d abord Mignon) Qui donc est là?... Quelle est cette voix qui m appelle? (La regardant avec tendresse) Est-ce toi, Sperata?... Réponds! est-ce toi? ▼MIGNON▲ Non! ▼LOTHARIO▲ (la repoussant doucement) Mon coeur se trompe encore, hélas! ce n est pas elle! C est l enfant qui voulait me suivre; c est Mignon! ▼MIGNON▲ (avec tristesse) Oh! oui! tu te souviens! oui, c est bien là mon nom ▼LOTHARIO▲ Pauvre enfant! pauvre créature! J ai voulu te revoir et j ai suivi tes pas! Viens sur mon cœur! Reste en mes bras! Et dis-moi quel chagrin te brise et te torture!... (Il presse Mignon entre ses bras) ▼MIGNON▲ (avec une ardeur fiévreuse, le front appuyé sur la poitrine de Lothario) As-tu souffert? As-tu pleuré? As-tu langui sans espérance, L âme en deuil, le cœur déchiré? Alors tu connais ma souffrance! ▼LOTHARIO▲ Comme toi, triste et solitaire, Courbé sous d inflexibles lois, De mes pleurs, j ai mouillé la terre! Le ciel reste sourd à ma voix! Duett ▼MIGNON▲ As-tu souffert? As-tu pleuré? As-tu langui sans espérance, L’âme en deuil, le cœur déchiré? Alors, tu connais ma souffrance! ▼LOTHARIO▲ Oui, j’ai souffert! j’ai pleuré Et j’ai langui sans espérance! Comme toi, le cœur déchiré Enfant, je connais la souffrance! (Applaudissements et acclamations bruyantes dans le château) ▼MIGNON▲ (se dégageant brusquement des bras de Lothario) Écoute! c est son nom que la foule répète! C est elle qu on acclame et c est elle qu on fête!... (Se tournant vers le château avec un geste de menace) Ah! que la main de Dieu, Ne peut-elle sur eux faire éclater la foudre, Et frapper ce palais, et le réduire en poudre, Et l engloutir sous des torrents de feu!... (Elle s enfuit sous les arbres) Scène Troisième ▼LOTHARIO▲ (Après un long silence ; avec égarement) Le feu!... le feu!... le feu!... (Il traverse lentement le théâtre et disparaît dans l ombre. Les portes de la serre s ouvrent pour laisser passer la foule des invités et des comédiens) Scène Quatrième (Seigneurs Et Dames, Philine Et Les Comédiens Frédéric, Le Baron, La Baronne, Le Prince, valets, portant des flambeaux. La représentation vient de finir. Philine et les comédiens ont conservé leurs costumes de théâtre) ▼LE CHŒUR▲ Brava! brava! brava! Gloire à Titania!... ▼PHILINE▲ Oui, pour ce soir, je suis reine des fées! (Montrant sa baguette magique) Voici mon sceptre d or!... (Montrant les couronnes que lui présente Frédéric) E. voici mes trophées! ▼LES COMÉDIENS▲ (entre eux avec dépit) Déjà vingt amants Entourent la belle, Et tout est pour elle, Fleurs et compliments! ▼FRÉDÉRIC, SEIGNEURS▲ Déjà vingt amants Entourent la belle, Et cette cruelle Rit de nos tourments! ▼PHILINE▲ Je suis Titania la blonde, Titania, fille de l air!... En riant, je parcours le monde Plus vive que l oiseau, plus prompte que l éclair! La troupe folle Des lutins suit Mon char qui vole Et dans la nuit fuit! Autour de moi, toute ma cour Court, chantant le plaisir et l’amour! La troupe folle Des lutins suit Mon char qui vole Et dans la nuit fuit! Aux rayons de Phoebé qui luit!... Parmi les fleurs que l’aurore, Fait éclore, Par les bois et par les prés diaprés Sur les flots couverts d écume Dans la brume On me voit d’une pie légère voltiger! Je suis Titania, la blonde, Titania, fille de l air! En riant, je parcours le monde, Plus vive que l oiseau, plus prompte que l éclair! ▼LE CHŒUR▲ (entourant Philine pour la complimenter) Gloire à Titania, la blonde Brava! brava! brava! Gloire à Titania! (Les invités remontent au fond, se promènent sous les arbres et forment différents groupes) Scène Cinquième ▼PHILINE▲ (apercevant Wilhelm) Ah! vous voici!... Déjà vous vous faites attendre. (D un air de reproche) Vous n étiez pas là pour m entendre!... ▼FRÉDÉRIC▲ (à part) Encor lui!... quel sourire aimable! quel air tendre! ▼WILHELM▲ (regardant autour de lui avec inquiétude) Pardonnez-moi!... Je cherche en vain, Mignon!... ▼PHILINE▲ (minaudant) Eh! quoi! Celle que vous cherchez, monsieur, ce n est pas moi! (Ils remontent en causant ; Mignon et Lothario se rencontrent sur le devant du théâtre) ▼LOTHARIO▲ (à demi voix) Sois contente, Mignon! Réjouis-toi, pauvre âme!... J ai voulu t obéir!... Et ces murs sont en flamme. ▼MIGNON▲ Ciel! que dis-tu? ▼LOTHARIO▲ (calme et souriant) J ai fait ce que tu voulais. ▼MIGNON▲ Dieu! ▼LOTHARIO▲ Ces murs vont s écrouler sous des torrents de feu! (Mignon inquiète cherche Wilhelm des yeux. Wilhelm l aperçoit et accourt vers elle) ▼WILHELM▲ C est toi!... je te cherchais, Mignon!... ▼PHILINE▲ (s approchant) Holà! ma belle! ▼MIGNON▲ Que voulez-vous? ▼PHILINE▲ Pour nous prouver ton zèle, Va vite, va chercher Là-bas. (Elle indique la serre) Certain bouquet... dont quelqu un qui m est cher Tantôt m a fait hommage, El que j ai laissé choir, je crois, de mon corsage. ▼WILHELM▲ A quoi bon?... ▼MIGNON▲ (à Wilhelm) J obéis, j obéis, maître! (Elle s élance dans la serre) ▼LAERTE▲ (accourant) Dieu! Philine, mes amis, le théâtre est en feu! Regardez!... ▼TOUS▲ (avec effroi) Que dit-il? ▼PHILINE ET LES FEMMES▲ Je meurs!... mon sang se glace!... (Les laquais sortent emportant les flambeaux. Le théâtre se plonge dans l’obscurité; des lueurs d incendie commencent à éclairer le vitrage de la serre) ▼WILHELM▲ (écartant la foule) Ah! malheureuse enfant!... Arrière!... faites place! ▼LAERTE▲ (le retenant) Arrêtez! ▼PHILINE▲ (le retenant) Cher Wilhelm! ▼WILHELM▲ Ne me retenez pas!... (Il s élance au secours de Mignon) ▼LE CHŒUR▲ Pour apaiser la flamme, Tout secours serait vain! L effroi glace notre âme! Que sert-il de tenter un effort surhumain ▼LOTHARIO▲ (debout, an milieu de la scène et dominant le tumulte général) Fugitif et tremblant, je vais de porte en porte, Où le ciel me conduit, où l orage m emporte, Des misérables Dieu prend soin... (Le vitrage éclate et s écroule. La foule des invités se presse sur le devant de la scène en poussant un cri de terreur) ▼PHILINE▲ J ignorais le danger... le ciel m en est témoin! ▼LOTHARIO▲ (indifférent à toute cette scène, dans une sorte d extase) Elle vit! elle vit!... et je cherche sa trace Je me repose un jour, un seul jour, et je passe, Je vais plus loin!... toujours plus loin!... (Wilhelm parait enfin portant Mignon dans ses bras) ▼LE CHŒUR▲ Ciel! ▼LAERTE ET PHILINE▲ Wilhelm!... ▼WILHELM▲ De la mort, Dieu l a préservée! La flamme l entourait déjà! je l ai sauvée! (Il dépose sur un banc de gazon Mignon évanouie. Mignon serre entre ses mains crispées un bouquet de fleurs flétries et à demi consumées) ACTE DEUXIÈME Premier Tableau (Un boudoir élégant. Porte au fond. Portes latérales. A droite une fenêtre, à gauche une cheminée. Toilette, fauteuils, etc) Scène Premère (Philine, Laërte. Philine est assise devant la toilette. On frappe à la porte) LAERTE (du dehors)Peut-on entrer? PHILINE C est vous, Laërte?... LAERTE (entrant, il est un peu gris)Oui, ce n est que moi! Bonsoir, Philine. PHILINE Bonsoir, Laërte. LAERTE Je ne vous dérange pas? PHILINE Vous!... Jamais!... LAERTE Au fait! je ne suis que votre ami... et il y a si longtemps!... (Regardant autour de lui) C est ici qu on vous loge? PHILINE Oui, mon cher! dans le boudoir de madame la baronne. LAERTE Dont monsieur le baron a gardé la clé!. PHILINE Impertinent! LAERTE Bah!... s il vous aime!... PHILINE Et si je ne l aime pas?... LAERTE Vous avez tort! Un homme chez qui l on fait si bonne chère, mérite quelques égards!... PHILINE Vous avez bien soupé, il paraît? LAERTE Comme un roi!... pas de théâtre, s entend! (Il s étend dans un fauteuil) PHILINE Et le vin du baron vous a mis, je crois, en belle humeur. LAERTE Je le crois aussi! (Déclamant) Rien ne vaut pour nous égayer Le vin qu on n a pas à payer!... PHILINE (riant)Fi! mon cher, vous êtes gris! LAERTE Non! je suis gai, je me sens en humeur de rire et de déraisonner; je suis capable de jouer très bien la comédie ce soir! Ce sera drôle! PHILINE Et nouveau! LAERTE Et nouveau! Je suis même capable de vous faire des compliments et de composer un madrigal en votre honneur! Ce sera bien plus nouveau encore! PHILINE Et bien moins amusant! LAERTE On ne sait pas. Je suis très galant quand je veux! (Se levant) Écoutez plutôt... Madrigal Belle, ayez pitié de nous! Daignez baisser vos paupières! Le cils de vos yeux si doux... Sont des flèches meurtrières Du Dieu qui nous blesse tous! (Il fait une pirouette) Voilà! PHILINE (riant)Bravo! On croirait entendre le jeune Frédéric. LAERTE Merci! PHILINE Ou le baron lui-même. LAERTE Bien obligé! PHILINE Moi, je vous tiens compte de l intention. Et je suis d autant plus touchée de cet accès de galanterie de votre part, que jusqu à ce jour vous ne m y avez guère accoutumée!... LAERTE (tranquillement)C est vrai! (Lui tendant une bonbonnière) Une pastille... PHILINE (puisant dans la bonbonnière)Merci! (S’appuyant familièrement sur son épaule) Avouez pourtant une chose, mon cher Laërte, c est que vous êtes bien heureux d être mon ami... sans quoi, vous auriez fait la route à pied... convie les autres. LAERTE C est probable! PHILINE Et au lieu do trouver ici le souper préparé... LAERTE Je me serais morfondu à la porte, ou dans quelque salle basse du château... comme les autres... PHILINE C est sûr! LAERTE A propos des autres, savez-vous ce qui leur est arrivé? PHILINE Non! contez-moi cela. LAERTE L histoire est navrante! PHILINE Bah! LAERTE Vous allez voir... Pendant que nous galopions gaiement sur la grande route, dans le carrosse du baron, nos infortunés camarades, surpris par l orage à une lieue ou deux du château, égarés dans des chemins de traverse qu ils ne connaissaient pas, percés d outre en outre par une pluie battante, ont failli, il parait, rester embourbés jusqu au cou dans une grenouillère!... PHILINE En vérité!... LAERTE (déclamant)Oui, Madame, embourbé» dans une grenouillère! Sctrwartz y perd sa perruque... avec sa tabatière; Aloysius, au milieu des jurons et des cris, Manque de s y noyer... avec ses manuscrits; Le fidèle carlin de la vieille Gudule Voit nager sa maîtresse... après son ridicule, Veut les sauver Ions deux, et périt sous les eaux Conrad enfin, Conrad, du milieu des roseaux, Sort comme un Dieu marin, et laisse dans la mare Le peu de voix qu il doit à la nature avare! PHILINE O malheureux Conrad! LAERTE O regrets superflus! Il éternue encor; — mais il ne chante plus! Bref, sans le secours de quelques paysans qui ont bien voulu les aider à se tirer de là et les remettre sur le bon chemin, c en était fait de nos amis!... — Que dites-vous de l aventure?... N êtes-vous pas émue... attendrie?... PHILINE (avec indifférence)Pas du tout. — Qu est-ce que cela me fait? LAERTE Et à moi donc? (Ils se regardent et éclatent de rire) PHILINE (déclamant)Je ris de leurs malheurs comme ils riraient des nôtres! LAERTE Quand tout va bien pour nous pourquoi songer aux autres! (Lui tendant de nouveau sa bonbonnière) Encore une... PHILINE (lui prenant familièrement le bras)Parlons d autre chose, voulez-vous? Avez-vous des nouvelles de notre ami? LAERTE Qui? Frédéric? il est ici, je l ai vu rôder dans les jardins... PHILINE Il s agit bien de Frédéric! je vous parle de ce jeune homme que nous avons rencontré ce matin... dans Cette auberge... LAERTE M. Wilhelm Meister?... PHILINE Lui-même. LAERTE (d un air moqueur)Au fait, je me rappelle, ne l avez-vous pas invité à nous rejoindre ici? Ne lui avez-vous pas offert de le présenter au baron, en qualité de poète de la troupe? Ne vous a-t-il pas promis de venir? PHILINE (souriant)Je crois que oui. LAERTE Eh bien! il ne viendra pas. PHILINE Pourquoi? Qu en savez vous? LAERTE Je lui ai dit ce qu il fallait, et j espère qu il se souviendra de mes bons avis. PHILINE (vivement, lui quittant le bras)Eh! mon cher, je vous trouve plaisant avec vos bons avis!... N est-ce pas vous qui me l avez présenté? LAERTE Oui, par malice. PHILINE Plaît-il? LAERTE Les victimes de l amour me font toujours rire, en souvenir de mes infortunes conjugales, et je le poussais moi-même dans vos filets... pour m amuser! PHILINE Vous êtes poli! LAERTE Mais il me plaît, ce garçon, il m intéresse! Je serais désolé qu il lui arrivât malheur! PHILINE De mieux en mieux! Vous me paierez cela, Laërte! Quant à M. Meister... LAERTE Nous ne le verrons plus! PHILINE Lui!... (Riant) Il est en route depuis longtemps! il frappe en ce moment à la porte du château... il demande à me voir... on nous l amène... il vient!... et... UN LAQUAIS (annonçant)M. Wilhelm Meister. PHILINE Et le voilà!... LAERTE (étonné)Ah! bah! (a Philine) Ma foi! tant pis pour lui! je ne m’en mêle plus! PHILINE C est tout ce que je vous demande! (Au laquais) Faites entrer. Scène Deuxième (Les Mêmes, Wilhelm Meister, puis Mignon) WILHELM (entrant)Charmante Philine!... Mon cher Laërte!... PHILINE Je suis ravie, Monsieur, que vous vous soyez souvenu de votre promesse!... WILHELM Et moi je vous remercie de m avoir invité à vous suivre!... je me réjouis d assister à cette fête et d avoir l occasion de vous applaudir!... LAERTE Nous applaudir! oh! pourquoi?... PHILINE Je me charge de vous présenter au baron. LAERTE Et moi a la baronne. Mais permettez-moi d abord d aller donner un coup d œil aux préparatifs de la représentation... Le théâtre est installé dans la serre du château, à deux pas d ici, au bout de la galerie. Nous jouons ce soir Le songe d une nuit d été, d un nommé Shakespeare... un poète anglais qui ne manque pas de mérite. C est l illustre Aloysius, noire souffleur, qui a refait la pièce au goût du jour. Les invités du baron n y comprendront rien tout de même!... Mais peu importe! Philine sera charmante dans son costume de Titania! Quant à moi, je vais revêtir les habits du seigneur Thésée, duc d Athènes, et je reviens vous chercher quand il en sera temps!... (A Wilhelm, déclamant) A bientôt, cher monsieur! (A Philine) Adieu, ma toute belle! Je vous laisse avec lui!... (A Wilhelm) Je vous laisse avec elle! (Il remonte au fond et s arrête sur lu seuil) Mais quelle est cette enfant qui se tient là en dehors, derrière la porte? WILHELM C est Mignon. PHILINE Mignon! WILHELM Oui, la pauvre enfant n a pas voulu se séparer de moi. Je lui ai fait quitter ses haillons de bohémienne, et elle m a suivi. Voulez-vous que je l appelle! PHILINE Sans doute, je suis curieuse de la voir! WILHELM (appelant)Mignon! MIGNON (paraissant sur le seuil)Tu m as appelée, maître?... (Mignon entre timidement. Elle est vue en jeune garçon et porte un petit paquet qu elle laisse tomber sur le seuil. Musique a l orchestre rappelant le motif e la danse des œufs du premier acte) PHILINE (riant)Ah! ah! ah! ah! La plaisante métamorphose! WILHELM (à Mignon)Approche sans crainte, chère enfant! Voilà un bon feu qui va te réchauffer. Demande à Philine, la permission de t asseoir là un moment... dans ce beau fauteuil! PHILINE Oui, oui, réchauffe-toi, Mignon; tu nous danseras après, la danse des œufs. (Mignon fait on mouvement, ses yeux rencontrent ceux de Wilhelm) MIGNON Si tu l ordonnes... j obéirai. PHILINE (à part)Quelle étrange idée de nous amener cette bohémienne! LAERTE (bas à Mignon)Si tu aimes ton maître, ne le quitte pas, et méfie-toi de Philine! PHILINE Vous dites?... LAERTE Moi! rien!... à bientôt. (Bas à Mignon) Méfie-toi! (Il sort) Scène Troisième Trio WILHELM Plus de soucis, Mignon! plus de tristes pensées! Viens réchauffer tes mains glacées, A ce foyer, hospitalier!... (Il fait asseoir Mignon dans un fauteuil devant la cheminée) MIGNON (a demi voix)Je ne me souviens plus de mes douleurs passée! le n ai plus froid! Je suis heureuse à ton côté! PHILINE (riant)Quels soins touchants! Que de bontés! Permettez-moi de rire De ce beau dévouement! MIGNON (á part)Hélas! qu a-t-elle à rire? Cruel amusement! WILHELM (á Philine)Vous faites bien de rire Votre rire est charmant! PHILINE Mon cher, je vous admire, C est tout à fait charmant! (Elle rit) Au lieu d être servi par votre jeune page, C est vous qui le servez! WILHELM (se rapprochant de Philine)Près de vous, à vos pieds, J accepterais, si vous vouliez, Un plus doux servage. PHILINE Vraiment! (Lui désignant un flambeau sur la cheminée) Apportez donc ce flambeau par ici. (Ille s asseoit devant sa toilette. Wilhelm va prendre le flambeau et retient avec empressement près de Philine. Mignon suit tous ses mouvement du regard sans quitter le fauteuil où elle est blottie) WILHELM Je me fais votre esclave! ordonnez, me voici! PHILINE Bien! posez-là d abord votre flambeau... (Wilhelm pose le flambeau sur la. toilette) Merci! (Se regardant dans le miroir) Mon coiffeur m a, ce soir, indignement coiffée!... Mais vous allez me voir dans ma robe de fée!... Je veux éblouir tous les yeux! Je crois déjà, je crois entendre, Et les soupirs et la voix tendre, De vingt galants jeunes et vieux! Ensemble WILHELM J admire l éclat de vos yeux! Je suis ravi, charmé d entendre Cette voix amoureuse et tendre, Ce rire moqueur et joyeux! MIGNON (a part)N écoutons pas! Fermons les yeux! De cet entretien doux et tendre, Non, non, je neveux rien entendre, Pour dormir, je fais de mon mieux. (Mignon fait semblant de dormir. Philine chante follement en achevant de se farder devant son miroir) WILHELM (se penchant amoureusement vers Philine)Belle Philine, aimable enchanteresse, Vos doux regards, et vos attraits vainqueurs, A votre char enchaînent tous les cœurs! Autour de vous, tout sourit et s empresse!... PHILINE Ce bracelet du prince est charmant, n est-ce pas? WILHELM On vous fête, on vous aime, on vous adore... hélas! Pourquoi n aimez-vous pas? PHILINE Au baron, cher monsieur, il faut qu on vous présente. WILHELM Philine, un mot encore!... un mot!... PHILINE (montrant Mignon)Parlez plus bas!... Notre hôte nous attend... Offrez-moi votre bras. (Elle fait quelques pas; Wilhelm la retient) WILHELM Quoi! sans répondre... PHILINE (lui tendant la main)Allons! J ai l âme complaisante!... (Wilhelm porte la main de Philine à ses lèvres. Au bruit du baiser, Mignon fait un mouvement, sans ouvrir les yeux) PHILINE (à part)Je savais bien qu elle ne dormait pas. WILHELM (à demi voix, avec passion)O Philine! ô coquette! ô fille séduisante! J admire l éclat de vos yeux! Je suis ravi, charmé d entendre, Cette voix amoureuse et tendre, Ce rire moqueur et joyeux!... PHILINE (riant)Out, je veux plaire à tous les yeux! Je crois déjà, je crois entendre Et les soupirs et la voix tendre De vingt galants jeunes et vieux! MIGNON (à part)N écoutons pas ; fermons les yeux De cet entretien doux et tendre, Non, non, je ne veux rien entendre, pour dormir, je fais de mon mieux. (Wilhelm offre son bras à Philine et sort avec elle par la porte du fond) Scène Quatrième MIGNON (seule)Me voilà seule! (Elle se lève) Ah! pauvre Mignon! Il s éloigne sans même retourner la tète de ton côté! Il ne pense plus à toi... Il t oubli déjà pour cette Philine! (Après un silence) Eh bien! que t importe! n es-tu pas sûre de son amitié? n a-t-il pas comble tous tes vœux en te permettant de le suivre et de le servir?... De quoi te plains-tu, ingrate? Pourquoi pleures-tu? (Essuyant vivement ses yeux) Non! non! ce n est rien! c est passé! je ne pleure plus! je suis heureuse. (Elle va et vient dans le boudoir, examinant curieusement les meubles et les tentures) Comme c est beau ici!... je n ai jamais rien vu de pareil!... non! jamais!... Si ce n est en rêve peut-être... Ces meubles dorés, ces tentures de soie... ces miroirs étincelants!... (s approchant de la toilette) C est là qu elle était assise tout à l heure pendant que Meister se penchait à son oreille, pour lui dire... ce que tant d autres lui disent chaque jour... ce que son miroir lui dit plus souvent encore! Et moi, du fond de mon fauteuil, j écoulais! je fermais les yeux et j écoutai. I coûtait! Je voulais dormir... et je ne pouvais pas!... C est mal, je le sais, mais je ne pouvais pas!... Pardonne-oi, cher maître!... (S asseyant devant la toilette) Voici les bouquets et les billets galants de tous ses amoureux... Voici le fard dont elle couvre ses joues... la poudre dont elle parfume ses cheveux... (Essayant de se farder) Si j essayais de me farder aussi!... Ah! ma pâleur disparaît déjà! mes yeux sont plus brillants!... (Elle rit et chante) I Il était un pauvre enfant, Un pauvre enfant de Bohême, Au regard triste, au front blême... (Se regardant dans le miroir) Ah! ah! la folle histoire! en vain je m en défend! Je me trouve bien mieux! je ne suis plus la même, Ta la, ralla! Ta la, ralla! Est-ce bien Mignon que voilà? II Un beau jour, tout triomphant, Tout lier de son stratagème, Pour plaire au maître qu il aime... (Se regardant de nouveau en riant) Ah! ah! la folle histoire! En vain je m en défends! Je me trouve bien mieux, je ne suis plus la même. Ta la ralla! Ta la ralla! Est-ce bien Mignon que voilà? Non, je ne me reconnais plus!... Ah! l heureuse Philine!... Je comprends qu on la trouve belle!... c est avec tout cela qu elle plaît. (Allant ouvrir la porte du cabinet) N est-ce point là qu on a rangé ses robes? (Elle regarder curieusement dans le cabinet) Oui!... C’est bien! je suis seule! Personne ne peut me voir... Quelle folle idée me traverse l esprit?... Quel démon me tente?... (Elle entre dans le cabinet. La fenêtre s ouvre brusquement. Frédéric parait sur le balcon) Scène Cinquième FRÉDÉRIC (seul)C est moi! (il saute dans la chambre) Le treillage s est brisé sous mes pieds, le vent a emporté mon chapeau et j ai failli m accrocher en route!... Mais n importe!... me voilà dans la place!... (Regardant autour de lui) C est bien ici que mon oncle a logé Philine! dans le boudoir de ma tante! Quel oubli de toutes les convenances!... Ah! fi! monsieur le baron, fi! Vous mériteriez que madame la baronne de son côté... Au fait! je crois quo depuis longtemps... mais ce n est point de cela qu il s agit! Je suis furieux! je suis exaspéré!... je suis décidé à disputer Philine à mon oncle, au prince de Tiefenbach, au monde entier!... (Portant la main à la garde de son épée) Et l épée au poing, s il le faut! malheur au premier galant qui se présente!... Scène Sixième WILHELM (entrouvrant la porte du fond)Mignon!... FRÉDÉRIC Hein? Qui est cette voix? WILHELM (entrant)Où donc est elle?... Philine m a fait promettre de gêner, et je... (Apercevant Frederick) Ah! FRÉDÉRIC (à part)N est-ce point là ce nouveau galant qu elle m a présenté ce matin? WILHELM (à part)N est-ce point là ce jeune sot... de l auberge?... FRÉDÉRIC Monsieur!... WILHELM Monsieur!... FRÉDÉRIC Vous ici... dans ce château!... WILHELM Comme vous voyez!... FRÉDÉRIC Vous faites donc partie de la troupe? WILHELM Il faut le croire. FRÉDÉRIC En quelle qualité? WILHELM En qualité... de poète, si vous le permettez... FRÉDÉRIC Mais de quel droit, Monsieur, osez-vous pénétrer ainsi chez mademoiselle Philine? WILHELM Et de quel droit, Monsieur, vous trouvez-vous chez elle? FRÉDÉRIC J y suis entré par la fenêtre, au risque de me rompre le cou! WILHELM Et moi, par la porte, sans courir aucun risque. FRÉDÉRIC Moi, Monsieur, je suis de ses amis!... WILHELM Moi de même, Monsieur. FRÉDÉRIC Voilà plus d un an que mes soins sont accueillis! WILHELM Les miens datent de ce matin... et ne sont point repoussés. FRÉDÉRIC Enfin, Monsieur, je l adore! WILHELM Moi, Monsieur, j en suis fou. FRÉDÉRIC Alors, Monsieur, nous sommes rivaux! WILHELM Il paraît. FRÉDÉRIC Et mademoiselle Philine vous donne rendez-vous chez elle?... Et vous vous proposez de me disputer son amour? WILHELM Oui... pardieu!... FRÉDÉRIC Il suffit, Monsieur! (Tirant son épée) En garde! WILHELM Plaît-il?... FRÉDÉRIC (d un air terrible)En garde! WILHELM (riant)Vous voulez vous, battre... dans ce salon?... FRÉDÉRIC Oui!... chez Philine!... dans son boudoir! c est original! WILHELM (tirant son épée)Soit, Monsieur, battons-nous! FRÉDÉRIC Battons-nous! (Ils croisent le fer. Mignon, revêtue d une des robes de Philine, sort du cabinet) Scène Setième (Les Mêmes, Mignon) MIGNON (s élançant entre eux)Ah!... Meister!... Dieu!... WILHELM Mignon!... FRÉDÉRIC Mignon!... quelle Mignon?... que signifie?... mais je ne me trompe pas! c est une des robes de Philine. (Riant) Ah! Ah! Ah!... WILHELM Monsieur!... FRÉDÉRIC Calmez-vous! nous nous reverrons! Dieu me garde de tuer cette belle enfant pour arriver jusqu à vous! à bientôt! WILHELM A bientôt! FRÉDÉRIC (lorgnant Mignon)Parbleu! je cours dire a Philine... (Riant) Ah! Ah! ah!... (Il sort en riant. On l entend rire encore dans la coulisse) Scène Huitième (Wilhelm, Mignon) WILHELM Toi!... Mignon!... sous ces habits!... MIGNON (confuse)Pardonnez-moi!... Ne me grondez pas! WILHELM Pourquoi ce déguisement? M expliqueras-tu?... MIGNON Oh! je suis en faute, je le sais... Je n avais pas le droit d essayer ces belles parures qui ne m appartiennent pas... mais je me croyais seule... et je n ai pu résister... WILHELM Deviens-tu folle!... Veux-tu que je sois la risée de tous ces gens qui sont ici?.. Pourquoi as-tu quitté ta livrée?... Pourquoi n attends-tu pas mes ordres?... Est-ce ainsi que tu sers ton maître? Alors, séparons-nous, cela vaut mieux! MIGNON (tristement)Tu me chasses... déjà? WILHELM Eh! non, je ne te chasse pas!... je ne te reproche rien!... je te sais gré du tendre mouvement qui vient de te jeter dans mes bras... pour me protéger contre l épée de ce jeune furibond! Mais je comprends maintenant que j ai eu tort de céder à ta prière! (Gaiement) Je ne puis vraiment pas traîner plus longtemps à ma suite... un page de ta sorte. MIGNON (naïvement)Pourquoi? WILHELM (avec embarras)Pourquoi? Parce qu une fille comme toi n est pas faite pour servir un garçon de mon âge!... parce que... parce que tu es femme enfin!... je l avais oublié... et c est toi-même qui me le rappelles en te montrant à moi sous ce costume! MIGNON Je croyais... je m étais imaginée... WILHELM Quoi donc? MIGNON Rien! rien!... J étais folle, en effet!... Je vais bien vite quitter ces beaux habits qui me font plus laide et plus gauche encore à vos yeux!... WILHELM (l examinant en souriant)Mais nun!... au contraire!... (Mignon le regarde) Va vite, va!... (il la pousse vers le cabinet) Si Philine revenait... MIGNON Ah!... vous craignez les moqueries de mademoiselle Philine!... c est elle, sans doute... c est elle qui vous a donné le conseil de vous séparer de moi!... Eh bien! Il faut lui obéir! WILHELM (avec douceur)Voyons, chère petite, réfléchis un peu... Je ne puis te garder! que dirait-on? Que penserait-on? (Riant) On finirait par me croire amoureux de toi. MIGNON (vivement)Oui, tu as raison, il faut nous quitter! WILHELM Je ne t abandonne pas d ailleurs; je t envoie chez une vieille parente à moi qui te recevra bien et te traitera comme sa fille. (Mignon se laissant tomber dans un fauteuil) WILHELM I Adieu, Mignon, courage! Ne pleure pas! Les chagrins sont bien vite oubliés à ton âge! Dieu te consolera! mes vœux suivront tes pas!... Ne pleure pas! Puisses-tu retrouver et famille et patrie! Puisses-tu rencontrer, en chemin, le bonheur! Je te quitte à regret, et mon âme attendrie, Partage ta douleur! Adieu, Mignon, courage! Ne pleure pas! Les chagrins sont bien vite oubliés à ton âge! Dieu te consolera! mes vœux suivront tes pas!... Ne pleure pas! II N accuse pas mon cœur de froide indifférence! Ne me reproche pas de suivre un fol amour! En te disant adieu, je garde l espérance De te revoir un jour! Adieu, Mignon, courage! Les chagrins sont bien vite oubliés à ton âge. Dieu te consolera! mes vœux suivront tes pas! Ne pleure pas! MIGNON (avec résolution)Je te remercie de tes bontés, mais je ne puis accepter l asile que tu m offres. Pour toi je renonçais à ma liberté; sans toi je veux être libre! WILHELM Chère enfant! écoute la raison! MIGNON La raison est cruelle, maître! le cœur vaut mieux. WILHELM Mais que vas-tu devenir? MIGNON Ce que j étais — Mignon! (Lui montrant le petit paquet de hardes qu elle a laissé tomber sur le seuil du fond) J ai eu raison, tu le vois, de garder mes pauvres habits de bohémienne. Je vais les reprendre et je pars! WILHELM (à part)Ah! pourquoi Philine exige-t-elle que je me sépare de Cette enfant! (La rappelant) Mignon!... (Mignon accourt joyeuse il lui tend une bourse) Prends cette bourse au moins! MIGNON (avec chagrin)Non! je ne veux pas de ton argent ; ta main suffit! Donne moi ta main encore une fois! je pars heureuse! (Lui saisissant la main et la portant a ses lèvres) Adieu et merci! WILHELM Non! je ne peux te laisser partir!... MIGNON Il le faut!... Demain je serai loin; tu ne me verras plus! WILHELM Où iras-tu? MIGNON Là-bas, comme autrefois, par les sentiers perdus! WILHELM Qui te protégera? MIGNON Dieu, les anges et la Madone! A leur pitié, je m abandonne... WILHELM Qui te nourrira? MIGNON Aux passants je tendrai la main! Et sans attendre qu on ordonne, Je danserai gaîment pour un morceau de pain!... (Avec un éclat de rire qui se termina en sanglots) Ah! ah! ah! WILHELM (la pressant dans ses bras)Mignon! (Philine parait au fond avec Frédéric) Scène Neuvième PHILINE Vous avez dit vrai. Frédéric! MIGNON Philine!... WILHELM Philine!... PHILINE (s avançant)Mignon affublée d une de mes robes... Mignon dans les bras de monsieur Meister!... WILHELM (avec embarras)Mignon a cédé à un caprice d enfant, en se parant un instant de vos atours, ma chère Philine. Elle me priait de -vous demander sa grâce... et me faisait ses adieux. PHILINE Elle part! WILHELM (bas)N est-ce pas vous qui l avez voulu? PHILINE Moi? nullement!... pourquoi donc? Je veux être son amie, au contraire!... Et si ma robe lui plaît... je la lui donne de bon cœur. (Examinant Mignon d un air moqueur) Elle est vraiment très bien ainsi!... très bien!... son ancien maître... Jarno... l homme au bâton, no la reconnaîtrait plus!... (Mignon arrache avec colère les rubans dont elle est parée) Oh! oh! quelle rage contre mes pauvres dentelles!... (Mignon se redresse, la regarde fixement, et après avoir ramassé le paquet de hardes qu elle a laissé sur le seuil, elle court se cacher dans le cabinet de droite) Et quel regard!... (Bas a Wilhelm, en souriant) On dirait, Dieu me pardonne, que cette petite sauvage est jalouse de moi! WILHELM Jalouse!... (Musique dans la coulisse. Quelques comédiens, revêtus de costumes do théâtre, traversent la galerie du fond, précédés par des laquais portant des flambeaux) LAERTE (paraissant sur le seuil, au fond, son rôle à la main, et vêtu en prince Thésée)Holà!... Puch, Ariel, Obéron... passez devant; je vous suis. (il entre en déclamant) L heure de notre hymen s avance à tire d aile, Belle Hippolyte! Encor trois jours d ennui! trois jours! Et puis naîtra pour nous une lune nouvelle, Lune au pâle croissant, emblème des amours!... (Se tournant vers Philine) Eh bienl que faites-vous donc, vous autres?... Me voilà déguisé en prince Thésée, tous nos camarades sont sous les armes, — ces messieurs de l archet sont à leur poste... et Titania n est pas encore prête! PHILINE J ai le temps de me transformer en fée dans la coulisse... (A Fredérick) Prenez mon costume, là, dans ce cabinet. (Elle indique le cabinet de gauche) FRÉDÉRIC (avec empressement)Je me charge de vous l apporter sur le théâtre! PHILINE Bien! rendez-vous utile. (Frédéric sort) LAERTE (a Philine)Philine, je ne sais plus un mot de mon rôle!... Et toi? PHILINE Moi, j ai bien autre chose en tête! LAERTE (riant)Bon! la représentation promet d être amusante! (Se tournant vers Wilhelm) Venez-vous?... WILHELM (distrait)Je vous suis. LAERTE (bas à Philine)Qu a-t-il donc? PHILINE Je vous conterai cela. WILHELM (à part)Jalouse!... PHILINE (à Laërte)Je l ai surpris ici même, avec la jeune Mignon... LAERTE Ah!... PHILINE Qui s était parée d une de mes robes pour lui plaire! LAERTE Bah! PHILINE La pauvre fille, je crois, est amoureuse de son maître. LAERTE Diable! PHILINE Vous ne riez pas? LAERTE Non. PHILINE Pourquoi? LAERTE (sérient)Parce que vous riez. LE SOUFFLEUR (paraissant au fond)Laërte... Philine... on commence!... LAERTE (courant à lui)Ah! mon cher Aloysius!... soufflez bien!... où je suis perdu!... (Déclamant) L heure de notre hymen... belle Hippolyte!... (Jetant son rôle en l air) Ma foi!... tant pis! à la campagne!... (Il entraîne Aloysius) PHILINE (à Wilhelm)M. Meister!... WILHELM (sortant de sa rêverie)Pardon! (Il offre son bras à Philine, Mignon entrouvre la porte du cabinet de droite) PHILINE (à Wilhelm)A quoi rêvez-vous donc? Est-ce que vous no m aimez plus? WILHELM Moi, Philine Je t adore!... (Ils disparaissent dans la galerie du fond) FRÉDÉRIC (sortant du cabinet de gauche, les bras chargés des robes de Philine)Philine! chère Philine... me voici!... Eh bien! elle ne m attend pas! elle s éloigne au bras de M. Meister! Décidément je le tuerai! (Il s élance sur les traces de Philine) MIGNON (reparaissant, vêtue de sou costume du premier acte)Cette Philine!... je la hais!... (Elle sort en courant) Deuxième Tableau (Un coin du parc. Au fond, à droite, une serre attenante au château, et éclairée à l intérieur. A gauche, une large pièce d eau bordée de roseaux. Musique et bruit d applaudissements dans la coulisse. Mignon se glisse sous les arbres et se penche dans l ombre pour écouter) Scène Première MIGNON (seule)Elle est là près de lui! Son triomphe commence! Et moi j erre au hasard dans ce jardin immense... (Avec agitation) Elle est aimée! il l aime! eh bien! je le savais! Ces tourments, je les éprouvais! Non! je ne l avais pas entendu de sa bouche, Ce mot qui déchire mon cœur! Espères-tu que ton chagrin le louche, Pauvre Mignon! il l aime! et son rire moqueur, Rend plus cruelle encor cette parole! Il l aime] ô Dieu! je deviens folle, De rage et de douleur! (Courant vers la pièce d eau) Ah!.... ce flot clair et tranquille M attire à lui! — j entends parmi les verts roseaux, Votre voix, ô filles des eaux!... Vous m appelez à vous sous cette onde immobile!... (Elle va pour s élancer, les accords d une harpe se fond entendre sous les arbres) Ciel! qu entends-je? écoutons!... (Redescendant en scène) Le mauvais ange a fui! Je veux vivre! (Lothario parait) Est-ce toi, Lothario?... (Avec joie) C est lui! Scène Seconde LOTHARIO (ne reconnaissant pas d abord Mignon)Qui donc est là?... Quelle est cette voix qui m appelle? (La regardant avec tendresse) Est-ce toi, Sperata?... Réponds! est-ce toi? MIGNON Non! LOTHARIO (la repoussant doucement)Mon coeur se trompe encore, hélas! ce n est pas elle! C est l enfant qui voulait me suivre; c est Mignon! MIGNON (avec tristesse)Oh! oui! tu te souviens! oui, c est bien là mon nom LOTHARIO Pauvre enfant! pauvre créature! J ai voulu te revoir et j ai suivi tes pas! Viens sur mon cœur! Reste en mes bras! Et dis-moi quel chagrin te brise et te torture!... (Il presse Mignon entre ses bras) MIGNON (avec une ardeur fiévreuse, le front appuyé sur la poitrine de Lothario)As-tu souffert? As-tu pleuré? As-tu langui sans espérance, L âme en deuil, le cœur déchiré? Alors tu connais ma souffrance! LOTHARIO Comme toi, triste et solitaire, Courbé sous d inflexibles lois, De mes pleurs, j ai mouillé la terre! Le ciel reste sourd à ma voix! Duett MIGNON As-tu souffert? As-tu pleuré? As-tu langui sans espérance, L’âme en deuil, le cœur déchiré? Alors, tu connais ma souffrance! LOTHARIO Oui, j’ai souffert! j’ai pleuré Et j’ai langui sans espérance! Comme toi, le cœur déchiré Enfant, je connais la souffrance! (Applaudissements et acclamations bruyantes dans le château) MIGNON (se dégageant brusquement des bras de Lothario)Écoute! c est son nom que la foule répète! C est elle qu on acclame et c est elle qu on fête!... (Se tournant vers le château avec un geste de menace) Ah! que la main de Dieu, Ne peut-elle sur eux faire éclater la foudre, Et frapper ce palais, et le réduire en poudre, Et l engloutir sous des torrents de feu!... (Elle s enfuit sous les arbres) Scène Troisième LOTHARIO (Après un long silence ; avec égarement)Le feu!... le feu!... le feu!... (Il traverse lentement le théâtre et disparaît dans l ombre. Les portes de la serre s ouvrent pour laisser passer la foule des invités et des comédiens) Scène Quatrième (Seigneurs Et Dames, Philine Et Les Comédiens Frédéric, Le Baron, La Baronne, Le Prince, valets, portant des flambeaux. La représentation vient de finir. Philine et les comédiens ont conservé leurs costumes de théâtre) LE CHŒUR Brava! brava! brava! Gloire à Titania!... PHILINE Oui, pour ce soir, je suis reine des fées! (Montrant sa baguette magique) Voici mon sceptre d or!... (Montrant les couronnes que lui présente Frédéric) E. voici mes trophées! LES COMÉDIENS (entre eux avec dépit)Déjà vingt amants Entourent la belle, Et tout est pour elle, Fleurs et compliments! FRÉDÉRIC, SEIGNEURS Déjà vingt amants Entourent la belle, Et cette cruelle Rit de nos tourments! PHILINE Je suis Titania la blonde, Titania, fille de l air!... En riant, je parcours le monde Plus vive que l oiseau, plus prompte que l éclair! La troupe folle Des lutins suit Mon char qui vole Et dans la nuit fuit! Autour de moi, toute ma cour Court, chantant le plaisir et l’amour! La troupe folle Des lutins suit Mon char qui vole Et dans la nuit fuit! Aux rayons de Phoebé qui luit!... Parmi les fleurs que l’aurore, Fait éclore, Par les bois et par les prés diaprés Sur les flots couverts d écume Dans la brume On me voit d’une pie légère voltiger! Je suis Titania, la blonde, Titania, fille de l air! En riant, je parcours le monde, Plus vive que l oiseau, plus prompte que l éclair! LE CHŒUR (entourant Philine pour la complimenter)Gloire à Titania, la blonde Brava! brava! brava! Gloire à Titania! (Les invités remontent au fond, se promènent sous les arbres et forment différents groupes) Scène Cinquième PHILINE (apercevant Wilhelm)Ah! vous voici!... Déjà vous vous faites attendre. (D un air de reproche) Vous n étiez pas là pour m entendre!... FRÉDÉRIC (à part)Encor lui!... quel sourire aimable! quel air tendre! WILHELM (regardant autour de lui avec inquiétude)Pardonnez-moi!... Je cherche en vain, Mignon!... PHILINE (minaudant)Eh! quoi! Celle que vous cherchez, monsieur, ce n est pas moi! (Ils remontent en causant ; Mignon et Lothario se rencontrent sur le devant du théâtre) LOTHARIO (à demi voix)Sois contente, Mignon! Réjouis-toi, pauvre âme!... J ai voulu t obéir!... Et ces murs sont en flamme. MIGNON Ciel! que dis-tu? LOTHARIO (calme et souriant)J ai fait ce que tu voulais. MIGNON Dieu! LOTHARIO Ces murs vont s écrouler sous des torrents de feu! (Mignon inquiète cherche Wilhelm des yeux. Wilhelm l aperçoit et accourt vers elle) WILHELM C est toi!... je te cherchais, Mignon!... PHILINE (s approchant)Holà! ma belle! MIGNON Que voulez-vous? PHILINE Pour nous prouver ton zèle, Va vite, va chercher Là-bas. (Elle indique la serre) Certain bouquet... dont quelqu un qui m est cher Tantôt m a fait hommage, El que j ai laissé choir, je crois, de mon corsage. WILHELM A quoi bon?... MIGNON (à Wilhelm)J obéis, j obéis, maître! (Elle s élance dans la serre) LAERTE (accourant)Dieu! Philine, mes amis, le théâtre est en feu! Regardez!... TOUS (avec effroi)Que dit-il? PHILINE ET LES FEMMES Je meurs!... mon sang se glace!... (Les laquais sortent emportant les flambeaux. Le théâtre se plonge dans l’obscurité; des lueurs d incendie commencent à éclairer le vitrage de la serre) WILHELM (écartant la foule)Ah! malheureuse enfant!... Arrière!... faites place! LAERTE (le retenant)Arrêtez! PHILINE (le retenant)Cher Wilhelm! WILHELM Ne me retenez pas!... (Il s élance au secours de Mignon) LE CHŒUR Pour apaiser la flamme, Tout secours serait vain! L effroi glace notre âme! Que sert-il de tenter un effort surhumain LOTHARIO (debout, an milieu de la scène et dominant le tumulte général)Fugitif et tremblant, je vais de porte en porte, Où le ciel me conduit, où l orage m emporte, Des misérables Dieu prend soin... (Le vitrage éclate et s écroule. La foule des invités se presse sur le devant de la scène en poussant un cri de terreur) PHILINE J ignorais le danger... le ciel m en est témoin! LOTHARIO (indifférent à toute cette scène, dans une sorte d extase)Elle vit! elle vit!... et je cherche sa trace Je me repose un jour, un seul jour, et je passe, Je vais plus loin!... toujours plus loin!... (Wilhelm parait enfin portant Mignon dans ses bras) LE CHŒUR Ciel! LAERTE ET PHILINE Wilhelm!... WILHELM De la mort, Dieu l a préservée! La flamme l entourait déjà! je l ai sauvée! (Il dépose sur un banc de gazon Mignon évanouie. Mignon serre entre ses mains crispées un bouquet de fleurs flétries et à demi consumées) Thomas,Ambroise/Mignon/III
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